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Appelez les gendarmes, ajouta-t-il en s’adressant à son valet de chambre.

— Mais ce que vous me dites là est infâme ! s’écria le baron.

Le marquis avait mis ses gants et tenait son chapeau ; il se redressa et répondit sévèrement :

— N’aggravez pas votre position par des outrages que je serai forcé de punir.

— Vous ! s’écria Luizzi exaspéré et se rappelant en ce moment ce qu’avait été le marquis du Val et ce qu’il était encore, se rappelant à la fois madame de Crancé, Lucy et la petite fille de chez la Périne ; vous ! s’écria-t-il, misérable ! vous qui avez fait profession de tous les vices !

Les gendarmes parurent.

— Gendarmes ! s’écria le marquis avec colère, emmenez l’accusé, et qu’il soit traité avec la dernière sévérité !

Puis il sortit. Les deux gendarmes emmenèrent Luizzi tellement accablé qu’il, traversa une partie de la ville de Toulouse sans remarquer la curiosité de tous ceux qui le rencontraient et le reconnaissaient. LV

Si l’on veut bien se rappeler les circonstances apparentes de la rencontre de Luizzi avec le Diable sous la figure de M. de Cerny, on comprendra aisément l’épouvante qui dut s’emparer du malheureux Armand lorsqu’il se trouva seul enfermé dans le cachot où l’avait fait mettre la bonne recommandation de son cousin, le marquis du Val. Aux yeux de tous, il s’était éloigné de la diligence avec un voyageur qui n’avait pas reparu. Ce voyageur était pour tous le comte de Cerny ; il l’était surtout pour le poëte qui lui avait demandé son nom, et à qui Satan avait répondu celui-là. Le baron était au secret depuis huit jours, depuis huit jours il avait été séparé de la vie des autres hommes, et, pendant tout ce temps, chaque heure, chaque minute, chaque seconde avait eu toute sa durée. Pendant les trente-cinq ans qu’il avait vécu, jamais Luizzi n’avait eu un aussi long espace de temps pour la réflexion. Pour la première fois, depuis dix ans qu’il avait accepté l’héritage infernal de son père, il avait pu se demander longuement pourquoi sa vie avait été si extraordinaire, et, pour ainsi dire, emportée dans un tourbillon d’événements qui l’avait toujours maîtrisé ; comment le pouvoir surnaturel dont il était doué n’avait fait que