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— Est-ce pour cela que vous m’avez reçu, marquis ? est-ce là ce que je devais attendre de vous ?

Le magistrat, rappelé ainsi à ses devoirs, mais ne quittant pas cependant de l’œil l’habit parfait de l’accusé, lui répondit sèchement :

— Écoutez donc, baron, je suis chargé de l’instruction de votre affaire ; je suis fâché de vous le dire, toutes les présomptions sont contre vous, même la conversation que nous venons d’avoir ensemble, car elle avait son but, je vous prie de le croire ; et assurément, si vous n’aviez pas été coupable, vous auriez eu l’esprit plus présent pour répondre aux questions, peut-être insidieuses, que je vous faisais.

Luizzi comprit de quel voile assez grossier le juge voulait couvrir la sotte légèreté de ses paroles ; et, bien convaincu qu’il n’avait rien de bon à espérer de cet homme s’il ne flattait sa ridicule manie, il lui répondit :

— Oh ! mon cher du Val, si vous avez pris la colère assez naturelle d’un honnête homme pour le trouble d’un criminel, je suis tout prêt à vous montrer que le remords ne me domine pas au point de me faire oublier une chose aussi importante que le soin de ma toilette. Comme je vous l’ai dit, c’est Humann qui m’habille complètement, c’est certainement ce qu’il y a de mieux, à Paris, et, si vous voulez, je vous donnerai une lettre pour lui ; je suis une de ses bonnes pratiques, il a des égards pour moi et il soigne particulièrement les personnes que je lui envoie.

— Apporte de quoi écrire, dit le magistrat à son valet de chambre. N’oubliez pas l’adresse, mon cher baron.

— Non, dit Luizzi en pliant la lettre et en la remettant au marquis qui lut la suscription : À monsieur Humann, rue de Richelieu.

Le marquis était complètement habillé ; il avait donné à ses cheveux une inclinaison convenable, précisé l’ouverture de son gilet, assuré les entournures de son habit, et il mettait ses gants, lorsque le baron lui dit :

— Ah çà, mon cher, service pour service ! J’espère que vous allez me signer un ordre de mise en liberté immédiate.

— Moi ! s’écria le magistrat, est-ce que je le puis ? Vous êtes, mon cher, sous le poids d’une accusation capitale.

— Pourquoi m’avoir reçu alors ? dit le baron.

— C’est mon devoir d’écouter les accusés, dit le juge ; il me semble que je l’ai plus que rigoureusement rempli, puisque je ne devais vous interroger que dans les vingt-quatre heures qui ont suivi votre arrestation. D’ailleurs, mon cher, vous ne m’avez pas allégué un seul fait en votre faveur ; tout ce que je puis faire, c’est qu’on ait les plus grands égards pour votre position…