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— Quoi ! on a trouvé le comte mort près de la grande route ?

— Oui, oui, fit le juge.

Et, se tournant vers son valet de chambre, il lui dit :

— Je n’ai jamais pu avoir un pantalon comme ça. Qui est-ce qui vous habille donc, Luizzi ?

— Je ne sais, répondit celui-ci, qui était fort peu à ce genre de conversation.

— J’en suis fâché, reprit le magistrat, je donnerais beaucoup pour savoir le nom et l’adresse de ce tailleur-là.

Ce n’était pas pour rien que le baron avait vu le monde par les yeux du Diable ; aussi espéra-t-il de cette circonstance plus que de sa non-culpabilité, il répondit :

— Attendez donc… c’est Humann, je crois, que s’appelle mon tailleur.

— Tu te souviendras de ce nom-là, dit le juge au valet de chambre, pendant qu’il mettait sa cravate et que Luizzi reprenait :

— Mais enfin, à supposer que le comte eût été véritablement tué, pourquoi est-ce moi qu’on en accuse ?

— Parce que l’amant de sa femme était celui qui avait le plus d’intérêt à se débarrasser du mari.

— Est-ce que vous me croyez coupable de ce crime ?

— C’est ce que j’ai dit. J’ai parlé d’un duel sans témoins, et la circonstance en valait la peine ; mais ceci resterait à prouver. Et d’ailleurs il y a une circonstance accablante : on a trouvé deux épées à côté du marquis, et il a été tué d’un coup de feu ; ce qui semblerait prouver que, si le duel a été arrangé avec vous sur l’impériale, il a été prévenu par un assassinat.

— On a donc vu M. de Cerny sur la route de Bois-Mandé ? s’écria Luizzi en se levant.

— Comment ! si on l’y a vu ? Vous avez fait quasi une demi-journée de route avec lui.

Le baron comprit alors qu’il avait été entraîné par Satan dans un piége où il devait périr. Il se détourna pour cacher la pâleur qu’il sentit se répandre sur son visage et qui eût pu être interprétée comme une preuve de son prétendu crime. Ce mouvement avait été si violent que le juge le regarda et que, s’arrêtant à son tour, il s’écria :

— En vérité, voilà un habit admirable ! Est-ce que c’est Humann qui vous fait aussi vos habits ?

Armand ne répondit pas.

Le juge, continuant son admiration, montra Luizzi à son valet de chambre, en lui disant :

— Vois comme c’est, coupé ! ça ne fait pas un pli ; et puis, ce n’est pas engoncé comme les habits qu’on me fait à Toulouse. Il faut absolument que j’aie ce tailleur-là.

Armand avait entendu, et, se retournant avec indignation vers le marquis, il lui dit :