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sembla qu’une étrange prédestination avait marqué cette visite, lorsqu’il fut introduit dans ce boudoir où elle s’était si follement donnée à lui. Il y était depuis quelques moments à peine, lorsqu’il vit paraître le marquis lui-même, enveloppé d’une longue robe de chambre. Le marquis du Val était un homme de cinquante ans à cette époque. Vieux libertin usé par la débauche, il avait conservé toutes les prétentions de la jeunesse, et passait plus de temps à sa toilette qu’à ses audiences. Ce n’était que depuis la mort de sa femme qu’il était entré dans la magistrature pour prendre ce qu’on appelle une position. Comme on a pu le voir dans le chapitre précédent, Luizzi n’ignorait pas cette circonstance ; mais elle l’avait si peu frappé, quand Lili la lui avait révélée, qu’il n’avait pas soupçonné un moment qu’il pût être appelé à paraître devant M. du Val. À peine le marquis fut-il dans le boudoir, qu’il fit signe aux gendarmes de se retirer et qu’il dit à Luizzi :

— Il a fallu que ce fût vous, baron, pour que je vous reçusse, attendu que j’ai à m’habiller pour aller dîner chez notre premier président, et qu’il me reste à peine une demi-heure ; mais entre vieux amis et entre parents on agit sans façons, et vous allez me permettre de continuer ma toilette.

Il sonna, et un valet de chambre apporta tout ce qui était nécessaire au juge pour s’habiller en dandy.

— Ah çà ! dit-il au baron, vous venez donc pour cette affaire de M. de Cerny ? Comment ! après avoir enlevé la femme, vous tuez le mari ? ceci passe la permission.

— Voyons, marquis, dit Luizzi, est-ce que cette accusation d’assassinat est véritablement portée ?

— Non-seulement portée, fit le juge en passant des bas de soie, mais encore assez bien prouvée.

— Comment, prouvée ! M. de Cerny est donc mort ?

— Si bien, repartit le magistrat en mettant son pantalon, qu’il a été trouvé, percé de deux balles, dans un petit taillis près de la grande route et à une demi-lieue environ de Sar… près Bois-Mandé.

Cette révélation stupéfia le baron, car il se rappela la figure que Satan avait prise pour l’accompagner précisément en cet endroit ; et il frémit de penser que ç’avait pu être une de ses ruses pour le perdre tout à fait.

Il restait muet et accablé, lorsque le juge, qui tendait ses bretelles et sanglait son pantalon avec une joie particulière, lui dit d’un ton dégagé :

— Tiens ! vous avez là un pantalon bien fait, oh ! un pantalon fait comme un ange. Qu’est-ce qui vous habille à Paris ?

Luizzi, qui n’avait pas entendu, releva la tête de l’air d’un homme atterré, et dit au marquis du Val :