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d’instruction.

— Il est gentil avec ses dix louis ! fit le premier gendarme ; il compte probablement les trouver dans quelques crevasses de sa future chambre à coucher.

— Tais-toi donc, dit l’autre, qui était du pays et qui emmena son camarade dans un coin de la chambre. C’est un des nobles de la ville ; il a de l’argent, à ce qu’on dit, de quoi payer la place du Capitole, et, si tu veux le conduire chez le juge d’instruction, ce n’est pas dix louis qu’il te donnera, mais vingt-cinq.

— Vingt-cinq louis ! dit le premier agent de la force publique, en ouvrant des yeux plus rayonnants que la plaque de son baudrier.

— Alors ça fera cinquante pour nous deux, reprit l’autre.

— Eh bien ! si tu lui proposais cela, toi qui le connais ?

— Merci ; c’est pas à moi qu’il a fait l’offre, ça te regarde.

— Que non ! que non ! il pourrait dire que c’est venu de moi, et j’aime autant le conduire tout droit en prison. Allons, l’homme aux cinquante louis, reprit le gendarme en s’adressant à Luizzi, marchons un peu vite.

— Dites donc, fit l’autre gendarme en s’adressant au baron, il a entendu cinquante louis, ce grand bêta-là, comme s’il y a quelqu’un qui voulût donner cinquante louis pour une pareille bêtise ! rien que d’aller chez le juge d’instruction.

— Je vous les donnerais à l’instant même, dit Armand, et avant de sortir de cette chambre.

— Ah çà ! dit le premier des deux gendarmes, est-ce que vous seriez innocent, par hasard ? vous avez l’air si sûr de votre affaire, que je commence à croire… Tu commences à croire, toi aussi, n’est-ce pas ?

— Ma foi ! oui, nous commençons à croire… reprit l’autre.

— Au fait, vous pouvez être innocent.

— Ça s’est vu.

— Et, puisque vous êtes bon enfant, nous allons vous mener chez le juge d’instruction.

— Soit, dit l’autre ; et puisque nous sommes complaisants, il faut l’être tout à fait. Détachons-lui les mains ; il faut qu’il puisse gesticuler…

— C’est ça, qu’il n’ait pas trop l’air d’un coupable.

— Qu’il puisse ôter son chapeau s’il rencontre une connaissance.

— Et mettre la main à sa poche s’il veut se moucher.

Luizzi comprit et mit la main à la poche pour en tirer les cinquante louis, dont il payait les complaisances de messieurs de la gendarmerie départementale. Du reste, une fois le marché conclu, ils y mirent toute la bonne grâce convenable, et, ne pouvant lui faire avancer un fiacre, attendu que le fiacre est chose inconnue à Toulouse, ils firent passer Luizzi par quelques petits détours et le conduisirent enfin chez le juge d’instruction. Le baron fut grandement surpris lorsqu’il entra dans l’hôtel du Val par la petite porte qui, dix ans auparavant, l’avait mené chez l’infortunée Lucy. Sa surprise fut encore plus grande lorsqu’on le mena dans le pavillon où, pour la dernière fois, il avait rencontré la marquise ; il lui