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chose de répugnant et d’effrayant dont l’aspect vous agace les nerfs, comme celui d’une énorme araignée dont l’attouchement est odieux, comme celui d’un crapaud ou d’un serpent. Luizzi se détourna soudainement ; mais au même instant, il sentit deux larges mains s’appuyer sur chacune de ses épaules, et la voix malencontreuse du commissaire lui dit :

— Je vous arrête, Monsieur, comme prévenu de meurtre sur la personne de M. le comte de Cerny.

Le fait de son arrestation avait atterré le baron, car il avait compris sur-le-champ l’impossibilité où elle le plaçait de venir en aide soit à Léonie, soit à Caroline, soit à madame Peyrol ; mais ce qui eût dû l’épouvanter par-dessus tout lui donna un moment d’espérance. L’absurdité de l’accusation le rassura, et, voyant qu’il n’était nullement question de l’enlèvement de madame de Cerny, il répliqua :

— Prenez garde à ce que vous faites, Monsieur ! Monsieur de Cerny se porte sans doute aussi bien que vous et moi, et je me soucie peu d’être victime d’une erreur ou plutôt d’une coupable machination et d’une lâche complaisance.

— Attachez Monsieur ! dit le commissaire de police.

— Vous oubliez à qui vous avez affaire ! s’écria le baron avec emportement.

— Mettez les poucettes à Monsieur ! dit le commissaire.

— Je proteste contre cette arrestation illégale.

— Faites marcher Monsieur ! reprit le magistrat tricolore.

Les gendarmes, ayant vivement appuyé la crosse de leur mousqueton sur les reins du prévenu, il fallut bien qu’il se décidât à marcher vers la prison où on devait le conduire. Toutefois, il s’arrêta encore :

— Je demande à être conduit immédiatement chez le juge d’instruction, dit-il au commissaire.

— Je vais dîner en ville, dit le commissaire à l’un des gendarmes ; voici l’ordre de réception pour le geôlier. Qu’il ne manque pas de mettre Monsieur au secret le plus absolu !

Après ces paroles, le commissaire, ayant dénoué son écharpe, rentra immédiatement dans la vie civile et alla manger des foies de canard en caisse chez une jolie marchande de bas dont le mari était de ses amis. L’impassibilité du commissaire avait singulièrement démonté la confiance de Luizzi en son nom et en lui-même ; il se rappela que le Diable lui avait souvent dit qu’il y avait une puissance qui ne perdait presque jamais de son action sur les hommes. En conséquence, s’adressant à un des gendarmes aux mains desquels il avait été laissé, il lui dit :

— Voulez-vous gagner dix louis ? conduisez-moi chez le juge