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ancrée dans le vice !

— Je crois, mon cher Barnet, que vous lui en avez un peu montré le chemin ; épargnez donc vos remontrances à cette fille, et causons un peu sérieusement. Lili, laissez-nous.

Celle-ci se retira en riant et en faisant des cornes à Barnet, qui s’écria avec fureur :

— Oh ! pour ça, ce n’est pas vrai.

— Ah ! bien, fit Lili, les petits clercs ne sont pas difficiles ; et votre femme a beau être laide, elle les enjôle avec de bonnes soupes, de bonnes cuisses d’oie, et de bonnes bouteilles de vin qu’elle leur fait monter dans leur chambre.

— Veux-tu bien te taire, petite gueuse !

— Hé donc ! je ne le sais pas, peut-être, que nous les mangions ensemble avec les clercs.

Barnet était rouge de colère, et le baron s’en serait amusé, s’il n’avait eu véritablement des affaires très-graves à traiter avec lui. Il fit signe à Lili de se retirer, et elle sortit, en faisant retentir l’escalier des éclats de sa voix gasconne et chantant l’air populaire :


A la fount men soun anada

Lou miou galant my a rancountrada, etc.[2]


cela avec une gaieté, une insouciance, une légèreté, que n’a pas la plus pure innocence. Luizzi en éprouva un vif dégoût. Le vice sous une forme hideuse est moins pénible à rencontrer que le vice jeune, rose, frais et insouciant. Celui-là est incurable, car il n’a pas de remords, il n’a pas l’idée du mal qu’il fait. Le notaire levait les mains au ciel en disant :

— Quelle jeunesse que celle de ce temps-ci ! Puis, lorsqu’on n’entendit plus Lili, il se tourna vers Armand et lui dit :

— En vérité, monsieur le baron, c’est un bien méchant tour que vous m’avez joué là. Comment ! me forcer à venir dans une pareille maison ! un homme comme moi ! c’est m’exposer à me perdre de réputation.

— Je n’avais pas à choisir le lieu de mon rendez-vous.

— Vous pouviez venir loger chez moi.

— Pour que madame Barnet, la femme la plus bavarde de Toulouse, allât dire dans tous les carrefours que le baron de Luizzi était à Toulouse ?

— C’est vrai, dit le notaire ; j’oubliais que vous ne vouliez pas qu’on sût votre arrivée. C’est cette jeune fille qui m’a tout troublé. Mais voyons, si j’ai bien compris votre lettre, il vous faut tout de suite beaucoup d’argent ?

— Beaucoup. Je quitte la France pour quelques années.

— Vous ! lui dit le notaire, et je croyais que vous