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et je ne sais si…

— Écoute, Périne, lui dit le baron sèchement, je suis venu loger chez toi parce que je veux que personne au monde ne sache que je suis à Toulouse ; sans cela je serais allé dans le premier hôtel venu ; mais, comme on y fait tous les jours à la police la déclaration des voyageurs qui y passent, je n’y suis pas allé.

— Ah ! vous ne voulez pas que la police le sache ?…

— Non, et, comme je sais que tu te dispenses le plus possible de lui faire connaître le nom de tes hôtes, j’ai choisi ta maison.

— C’est très-bien, et il fallait me dire cela tout de suite. Dès ce moment vous êtes ici comme à cent pieds sous terre ; personne ne saura rien.

— Dix louis pour toi si tu es discrète.

— C’est comme si je les avais.

— Et maintenant, dis-moi, M. Barnet est-il venu ?

— Lui ! fit la Périne avec une exclamation de surprise.

Puis elle reprit :

— Hé ! Jésus mon Dieu ! il ne sait pas même le chemin de la maison, le pauvre homme !

— Il l’apprendra.

— À son âge ? ce serait péché. D’ailleurs, sa femme lui crèverait les yeux avec ses aiguilles à tricoter, si elle savait qu’il vînt ici.

— Du moins a-t-il répondu ? a-t-il dit quelque chose à ton fils ?

— Ah ! oui, tiens, c’est vrai, vous avez raison, il lui a dit : « Tu diras à celui qui t’envoie que je ferai ce qu’il veut. »

— Je lui disais de venir aujourd’hui.

— Lui avez-vous marqué l’heure ?

— Non ; je lui ai dit dans la journée.

— Hé bien ! la journée ne finit qu’à minuit ; vous avez encore la chance de le voir arriver.

— Allons, je l’attendrai. Fais-moi servir à dîner, et qu’on m’apporte du papier et de quoi écrire.

— Ah çà ! puisque vous ne voulez pas être reconnu, je vas vous envoyer la petite de tout à l’heure pour vous servir. Il est inutile qu’une autre vous voie ; et la vieille Marthe, vous savez ! la vieille Marthe pourrait bien vous reconnaître. La petite, au contraire, ne sait pas qui vous êtes ; puis elle est bonne fille, elle est d’une innocence étonnante. Quand vous en aurez besoin, sonnez deux fois ; elle s’appelle Lili. Je vais faire préparer le dîner ; ne vous impatientez pas.

— Fais comme tu l’entendras, mais dépêche-toi, je meurs de faim. En tout cas, envoie-moi de quoi écrire.

— Il y a tout ce qu’il faut dans ce secrétaire.

La Périne sortit, et Luizzi écrivit une longue lettre à Eugénie Peyrol pour lui apprendre que sa mère existait, où elle était, qui elle était. Deux heures se passèrent ainsi. Lili arriva alors avec tout l’attirail nécessaire pour mettre la table. Elle avait assez d’adresse, mais beaucoup de mauvaise humeur. Luizzi la suivait des yeux. Lorsqu’elle eut fini d’arranger le couvert, il se mit à table. Lili s’assit sans façon à côté de la cheminée. Elle avait l’air maussade et ennuyé.