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de l’état d’avoir bonne mémoire ; il faut pouvoir distinguer les habitués des oiseaux de passage. D’ailleurs j’ai votre figure dans la tête de père en fils. Le vieux baron a passé de bonnes nuits ici.

— Mon père ?

— Hé oui-da ! On peut vous conter ça, maintenant qu’il est mort et que vous n’irez pas lui dire en face : « Je puis bien aller chez la Périne, vous y alliez bien, vous. » C’était le bon temps. C’est moi qui lui ai procuré la Mariette, dont il a eu une petite fille qui n’a pas démenti son origine. Vous connaissez la Mariette, qui m’a quittée pour s’établir en particulier, par amour pour Ganguernet, ce farceur chez qui s’est passée l’histoire de l’abbé de Sérac.

— Ah ! oui, je l’ai vue une fois, ce me semble, chez madame du Val.

— C’est ça, l’abbé l’y avait placée.

— Et qu’est-elle devenue ?

— On ne sait pas. Il paraît qu’elle est à Paris, où elle était allée après la maladie qui l’a rendue laide et méconnaissable, il y a de ça trois ou quatre ans.

— C’est bon, dit Armand, qui savait assez des écarts de son père pour ne pas avoir envie d’en apprendre d’autres. Envoie cette lettre chez Barnet et fais-moi monter à souper.

— Soupez-vous seul ?

Le baron la regarda de travers, mais il se rappela où il était, et il comprit qu’il n’avait pas le droit de se fâcher.

— Tout bien considéré, dit-il, je ne souperai pas. J’ai plus besoin de sommeil que d’autre chose.

— C’est bon, fit madame Périne, vous devez être fatigué, vous en avez l’air.

Elle sortit, et le baron, véritablement harassé, se coucha et dormit du sommeil du juste, dans cette honnête maison. Il ne se réveilla que le lendemain à quatre heures, et s’en voulut d’avoir perdu tant de temps. Il sonna, et une jeune et belle fille, gracieuse et fraîche comme une rose, entra et alla s’asseoir familièrement sur le lit du baron, en lui disant avec son accent gascon :

— Que vous faut-il, Monsieur ?

Le baron la contempla avec attention. Elle était charmante et montrait des dents d’un blanc vierge. Cet aspect attrista Luizzi ; il frémit de penser à ce qu’était cette enfant au visage candide, au teint rosé, au maintien naïf, et il lui répondit :

— Je ne veux rien de vous.

Elle parut piquée de la réponse et se retira du bord du lit en disant :

— Je ne suis pas seule ici.

— Je vous demande madame Périne, repartit Luizzi avec colère.

— Je vais aller prévenir Madame, répliqua-t-elle.

Et elle se retira. Un moment après, la Périne rentra et dit au baron :

— Eh, pardine ! monsieur Armand, Paris vous a rendu difficile,