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est descendu parler avec le premier. J’ai filé pendant ce temps-là. Arrivé au pied de la montée, je suis entré un moment au bouchon de la mère Filon, tandis que mes bêtes montaient au pas. C’est alors que le petit Jacob a accouru après moi, a rattrapé la berline, et a dit à la dame qui l’occupait de prévenir le postillon. Puis il est revenu chez la mère Filon, où il y avait une noce et où il aura passé la nuit.

— Et tu n’as vu personne sur la route ?

— Personne.

— Au diable alors le voyageur ! fit le conducteur, et en route ! Allons, hu ! postillon, à cheval !

Luizzi, qui ne se souciait pas qu’on lui demandât des nouvelles du voyageur disparu, remit sa lettre avec une bonne gratification au postillon et se hâta de remonter en voiture. On partit, et il arriva à Toulouse sans autre accident. Dès qu’il y fut arrivé, il se rendit dans une petite maison garnie qui jouissait d’une assez mauvaise réputation, mais dont la propriétaire avait en même temps un renom de parfaite discrétion. Lorsqu’il s’y fut fait donner une chambre, il écrivit une lettre et fit appeler madame Périne, la maîtresse du logis, qui arriva aussitôt, et qui, après avoir fait la révérence, lui dit :

— Que veut Monsieur ?

— Quelqu’un de sûr pour aller porter une lettre.

— J’ai mon fils qui est muet comme une muraille.

— Puis je voudrais que vous pussiez m’avoir des habits autres que ceux-ci.

On n’a pas oublié que Luizzi avait quitté Paris en habit de visite. À Fontainebleau, il n’avait guère eu que le temps de se procurer une large redingote et un manteau. À Orléans, il avait quitté l’un et l’autre, et, surpris par M. de Cerny, il s’était enfui toujours avec le même habit. À la demande du baron, madame Périne répondit :

— Quel tailleur faut-il envoyer chercher ? Si Monsieur ne connaît pas la ville, je puis lui choisir ce qu’il y a de mieux.

— Je voudrais avoir des habits tout faits, je désire ne voir personne.

— Excepté votre notaire, M. Barnet, à ce qu’il paraît ! dit madame Périne, qui avait lu la suscription de la lettre que Luizzi lui avait donnée.

— Qui vous a dit que Barnet fût mon notaire ?

— Rien, oh ! rien… c’est que, lorsque l’on appelle un notaire, c’est ordinairement son notaire.

M. Barnet ne peut-il être mon ami ?

— Si c’est ça, je me suis trompée, fit madame Périne en se retirant.

— Voyons, dit le baron en arrêtant l’hôtelière, est-ce que vous croyez me reconnaître ?

— Moi ? pas du tout, repartit madame Périne ; je vois bien que monsieur le baron ne veut pas être reconnu.

— Quoi ! s’écria Armand, vieille sorcière, tu ne m’as pas oublié ?

— Hé ! que voulez-vous ? monsieur Armand, c’est une des qualités