Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/414

Cette page n’a pas encore été corrigée

intrigues par lesquelles Gustave de Bridely pourrait empêcher la reconnaissance de la fille de madame de Cauny, et ne sachant s’il devait s’en rapporter à lui-même ou demander des éclaircissements à son esclave, lorsque tout à coup le poëte l’appela de loin en criant : « Eh ! monsieur le baron ! monsieur de Luizzi ! » Celui-ci s’arrêta. Le poëte s’approcha et lui dit :

— Monsieur de Luizzi, je vous avais promis de vous rappeler les circonstances de notre première rencontre, et c’était à Bois-Mandé que je devais vous faire le récit de cette histoire. Vous y trouverez le mystère d’une existence encore plus étrange peut-être que celle de M. de Lozeraie et de Mathieu Durand ; si vous voulez bien me le permettre, je vous l’enverrai à Toulouse.

— Je la recevrai avec plaisir, dit le baron assez froidement.

Le poëte s’éloigna, et le baron continua la route à pied.

— Mais quel est donc ce monsieur, dit-il au Diable.

— Comment ! tu n’as pas reconnu encore une de tes vieilles connaissances ?

— Ce monsieur ?

— Le fatal Fernand, le héros du lit du pape, le ravisseur de Jeannette, à qui tu as servi de témoin…

— Ah, oui ! je me souviens, fit Luizzi, et voilà sans doute ce qu’il voulait me raconter à Bois-Mandé.

— Il y aurait probablement ajouté la suite de ses aventures avec Jeannette, et, comme tu as maintenant plus de temps à perdre que lorsque tu seras à Toulouse, je puis te la dire.

— Je n’en suis pas curieux, et je suppose que maintenant tu vas me quitter. Tu n’as sans doute plus personne à endoctriner à côté de moi ?

— J’ai fait tout ce que je voulais. Seulement il me semble que tu pourrais être plus poli envers moi, monsieur le baron, car, te voyant si peu disposé à m’entendre sur ce qui t’intéresse, j’ai eu grand soin de te choisir une histoire qui ne te regarde nullement.

— Ce sera donc la première fois que ta parole ne m’aura pas été fatale ?

— Qui sait ? dit le Diable en riant.

— Va-t’en ! s’écria Luizzi ; je ne veux plus t’écouter.

Le Diable disparut, et Luizzi poursuivit seul sa route, pensant à son aise à tout ce qu’il pouvait avoir à faire. Il se remit en présence de ses obligations. Il avait en ce moment trois femmes à sauver de la position fâcheuse où il les avait mises : c’étaient madame de Cerny, Eugénie Peyrol et Caroline. Luizzi regrettait vivement de ne pas pouvoir s’arrêter à Bois-Mandé, pour aller jusqu’au château de madame de Paradèze, et la prévenir que la fille qu’elle pleurait depuis si longtemps était enfin retrouvée, puis pour lui faire part du malheur arrivé à sa nièce ; mais sa présence à Toulouse était indispensable. Il se trouvait dans un dénûment qui ne lui permettait pas d’agir d’une manière rapide et convenable. Cependant, il crut devoir écrire à madame de Paradèze afin de lui