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SIMPLES ÉVÉNEMENTS ET SIMPLE MORALE.

Comme le Diable finissait son récit, la diligence s’arrêta. Luizzi avait écouté volontiers cette histoire. Elle semblait en effet si étrangère à ses propres affaires, qu’il n’éprouva point cette appréhension que lui causaient d’ordinaire les confidences de Satan. Après toutes les observations folles et burlesques dont l’homme artistique avait accompagné cette anecdote, Luizzi s’attendait à lui voir entamer, sur le dénoûment fort extraordinaire qui les concluait, des réflexions qui ne le seraient pas moins et une théorie littéraire à son usage particulier ; mais il fut très-surpris de lui voir garder un absolu silence sur ce qu’il venait d’entendre raconter. Seulement il demanda au conducteur le nom du village où ils se trouvaient, et, celui-ci lui ayant dit qu’il était à Sar…, le poëte donna l’ordre aussitôt de décharger ses malles. Le conducteur fut étonné de cet ordre, et, avant d’y obéir, il consulta sa feuille et répondit :

— Mais Monsieur a pris sa place jusqu’à Toulouse.

— Et je l’ai payée jusque-là, ce me semble ! Maintenant il me plaît de descendre ici.

— Nous sommes à trois lieues du château de Mathieu Durand, dit tout bas Satan au baron pendant qu’ils s’éloignaient en précédant la diligence.

— Bah ! et que va-t-il y faire ?

— Profiter du secret qu’il connaît pour tâcher d’amener le banquier à lui donner sa fille en mariage avec quelques-uns des millions qu’il a rattrapés.

— Oh ! fit le baron, mais c’est une infamie.

— Tu oublies, maître, qu’en sa qualité d’homme de lettres, ce monsieur a droit de piller les idées des autres.

— Il les choisit bien mal !

— Tu es trop modeste.

— Moi ?

— Toi ; car il ne fait pas autre chose que ce que tu as voulu faire faire jadis à Gustave et à Ganguernet. Ce n’est pas dans un autre but que tu leur as fait le récit des aventures de madame de Marignon. Vois quelle gloire est la tienne ! le Diable en est réduit à t’imiter pour mal faire.

Le reproche tombait juste ; aussi Luizzi ne daigna-t-il pas y répondre. Toutefois le nom de madame de Marignon lui rappela la rencontre du vieil aveugle et, par suite, tout ce qui avait précédé la fuite d’Orléans jusqu’à l’instant où il allait interroger le Diable sur le compte de madame Peyrol. Il marchait donc côte à côte avec Satan, songeant sérieusement à trouver un moyen de prévenir les