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réflexions pour qu’elles ne vinssent pas affaiblir sa résolution. Le lendemain, Mathieu Durand et ses témoins, M. de Lozeraie et les siens, se trouvaient à neuf heures précises chez M. de Favieri ; les voitures attendaient, les conditions du combat étaient réglées, et l’on allait quitter le salon, lorsque tout à coup on vit entrer le vieux M. Félix. Les deux adversaires s’arrêtèrent tous deux à l’aspect de ce vieillard, et celui-ci leur dit d’un ton grave :

« — Messieurs, je désirerais vous entretenir l’un et l’autre en particulier avant la rencontre qui doit avoir lieu entre vous.

— Monsieur, repartit Mathieu Durand en s’inclinant, nous savons, M. de Lozeraie et moi, tout ce que la raison peut vous dicter des paroles conciliantes dans une affaire pareille ; mais les choses sont arrivées à un point que nous ne pourrions attendre plus longtemps l’un et l’autre sans nous déshonorer tous les deux.

— Monsieur a raison dans ce qu’il dit, reprit M. de Lozeraie, et je partage pour cette fois son opinion.

— Monsieur de Lozeraie, reprit doucement M. Félix, je vous ai, je crois, rendu un grand service en vous libérant vis-à-vis de M. de Berizy. Monsieur Durand, je ne vous ai pas été moins utile en vous mettant en position de payer M. de Lozeraie. C’est au nom de ce que j’ai fait pour vous que je vous prie de vouloir bien m’écouter. Les deux ennemis se tournèrent en même temps chacun du côté de ses témoins comme pour les consulter, et ceux-ci ayant montré par quelques mots qu’il était convenable de céder aux désirs de M. Félix, ils se retirèrent, et Mathieu Durand et M. de Lozeraie restèrent seuls avec le vieillard. Lorsque tout le monde fut sorti, M. Félix prit un siége, et en désigna un d’abord au banquier, puis un au comte, qui s’assirent, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche. L’aspect vénérable, calme et fort en même temps de ce vieillard, contrastait avec l’impatience inquiète de ses auditeurs, qui de temps à autre échangeaient un coup d’œil comme pour se promettre l’un à l’autre qu’ils ne céderaient pas aux prières du vieillard. Le vieillard les considéra un moment et sembla puiser dans cette attention un sentiment plus rude de sévérité, et il commença ainsi :

« — Il y a six mois, Messieurs, je me suis présenté chez chacun de vous… chez vous d’abord, monsieur Mathieu Durand ; je vous ai raconté comment j’avais été condamné, et je vous ai demandé le moyen de rétablir tout à fait l’honneur de mon nom. Vous m’avez refusé. »

Le banquier se tut. M. Félix continua :

« — Je me présentai ensuite chez vous, monsieur de Lozeraie, et je vous parlai de réclamations que j’avais à exercer sur la fortune