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avait donné quittance de la somme due par Mathieu Durand en passant à M. Félix ses droits sur Mathieu Durand.

« — M. Félix ! » dit le banquier, stupéfait de retrouver encore ce nom mêlé à une affaire de cette importance.

— Il était temps qu’il s’en étonnât, dit le poëte en riant. Quant à moi, je vous avoue que je n’écoute vos centaines de millions, de trois, de cinq pour cent, que pour savoir enfin quel est ce M. Félix.

— Vous voyez bien, dit le Diable, que j’ai eu raison de ne pas satisfaire votre curiosité dès l’abord ; mais nous voici au dénoûment : une belle scène de drame, en vérité !

À l’exclamation du banquier, M. de Berizy avait répondu :

« — Oui, ce même M. Félix, qui s’est mis aux lieu et place de M. de Lozeraie pour l’achat de ma forêt, et qui aujourd’hui se met si généreusement en votre lieu et place.

— Mais quel est donc cet homme ?

— Je vous jure que je l’ignore.

— Je le verrai, dit Durand, devenu tout pensif à cette singulière nouvelle, je le verrai, quand toute cette affaire sera terminée ; car je suppose, Messieurs, que vous n’avez pas oublié que j’ai d’autres intérêts que des intérêts d’argent à démêler avec M. de Lozeraie.

— Non, certes, reprit M. de Berizy, et le rendez-vous général est pour demain, à neuf heures, chez M. de Favieri ; nous partirons tous de là.

— Neuf heures, c’est bien tard, dit le banquier.

— Nous avons choisi l’heure de monsieur…

— Cette heure a paru convenable à tout le monde, dit M. de Berizy en interrompant Daneau, qui avait pris la parole. À demain, monsieur Durand ! »

Durand, resté seul, sentit une sorte de joie cruelle en pensant qu’il allait enfin pouvoir se venger de cet homme qui l’avait si insolemment traité. Dans les premiers transports de sa colère, il oublia tout autre intérêt que celui de la vengeance de son orgueil. Mais, lorsqu’il pensa que ce duel pouvait avoir des suites fatales et qu’il lui fallait mettre ordre aux affaires les plus urgentes, il pensa à sa fille qu’il allait laisser au milieu du dédale d’une liquidation d’où lui seul pouvait arracher encore quelques restes de fortune. Que deviendrait, après lui, cette jeune fille élevée à satisfaire tous ses caprices, et qui n’avait pas reçu de lui la moindre idée d’ordre ou d’économie ? Il revint avec chagrin sur cette fausse éducation qu’il avait laissé donner à une enfant qui eût pu être bonne et simple s’il l’eût voulu ; il se reprocha amèrement son imprévoyance. Mais quelque douleur qu’il éprouvât à l’aspect du fâcheux avenir qu’il pouvait léguer à sa fille, il n’entra pas un moment dans l’esprit de Mathieu Durand d’éviter, par la moindre concession, le duel qui l’attendait. Son orgueil domina tout autre sentiment, et il détourna, pour ainsi dire, la tête de ces pénibles