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et d’habileté ?

— Oubliez-vous qu’il a fallu une révolution pour la renverser ?

— Oubliez-vous que vous êtes un de ceux qui l’ont amenée ?

— Je n’ai pas à vous rendre compte de mes opinions, ce me semble.

— Mais vous avez à me rendre compte de ma fortune, Monsieur.

— Je l’ai fait.

— Je ne me paye pas de paroles, Monsieur ; et, quand je vous dirai qu’il me faut ma fortune, qu’il me la faut demain, j’entends vous parler d’argent comptant.

— Je vous ai fait comprendre, reprit le banquier en serrant les dents comme pour fermer le passage à la colère qui l’agitait, je vous ai fait comprendre que cela était impossible.

— Les tribunaux vous prouveront que rien n’est plus possible.

— Moi ! aller devant les tribunaux, s’écria Mathieu Durand.

— C’est où vont les gens de mauvaise foi qui ne payent pas leurs dettes.

— Il y a un autre endroit, Monsieur, reprit le banquier avec hauteur, où vont les honnêtes gens qui ont payé les leurs.

— Quand cela vous sera arrivé, Monsieur, dit le comte, je verrai si un homme comme moi doit y suivre un homme comme vous.

— C’est une décision que vous serez forcé de prendre plus vite que vous ne le pensez.

— Jamais si vite que je le désire, car elle sera précédée de la rentrée en mes mains de mes capitaux.

— Vous n’attendrez pas longtemps.

— J’attends encore mon argent.

— À demain, Monsieur.

— Je tiendrai votre quittance prête.

— Tenez donc aussi vos armes prêtes.

— Ne me faites pas perdre mon encre et mon papier, je vous prie.

— Vous n’y perdrez rien, je vous le jure.

Le banquier sortit. Il rentra immédiatement chez lui, et écrivit à Daneau et à M. de Berizy. Puis il se rendit chez M. de Favieri, lui expliqua franchement sa position et lui demanda le crédit nécessaire pour solder immédiatement M. de Lozeraie. Le banquier génois écouta le banquier français sans que son visage lui apprît s’il était disposé ou non à faire ce qui lui était demandé. Puis, quand Mathieu Durand eut fini de parler, il lui répondit froidement :

« — Veuillez me laisser la liste et le montant des créances sur le dépôt desquelles vous voulez opérer cet emprunt ; dans deux heures vous aurez ma réponse, et je vous dirai à quelles conditions je puis faire cette opération, si toutefois je puis la faire. »

Deux heures après, Mathieu Durand reçut un billet de M. de Favieri, qui le priait de vouloir bien lui envoyer MM. Daneau et de Berizy, ajoutant que tout s’arrangerait probablement. L’attente de Mathieu Durand fut cruelle ; mais sa joie fut extrême lorsque ses deux témoins vinrent lui apprendre que les douze cent mille francs lui étaient parfaitement inutiles, attendu que M. Félix ayant offert sa garantie à M. de Lozeraie, celui-ci l’avait acceptée, et