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« — Monsieur, je viens me livrer à vous.

— Qu’entendez-vous par là, Monsieur ? lui dit le comte, plus alarmé encore de cette parole que fier d’être ainsi déclaré le maître de la destinée de l’homme qu’il détestait le plus au monde.

— Je vais vous l’expliquer, Monsieur, repartit le banquier. »

Aussitôt il raconta à M. de Lozeraie l’état de ses affaires, tel que j’ai essayé de vous le faire comprendre, et termina ainsi sa confidence :

« — Vous le voyez, Monsieur, les fonds que vous avez déposés chez moi vous sont parfaitement garantis ; et, si vous pouviez douter de la parole d’un honnête homme, mes livres pourraient vous convaincre… »

M. de Lozeraie avait attentivement écouté Mathieu Durand, et il avait reconnu, avec une joie qu’il avait habilement dissimulée, que sa créance était parfaitement assurée. Une fois sûr de la solvabilité de son débiteur, il ne pensa qu’à prendre une revanche cruelle de l’affront qu’il en avait reçu naguère, et, interrompant Mathieu Durand au moment où il prononçait les dernières paroles que je viens de rapporter, il lui dit :

« — Les livres de MM. les banquiers disent tout ce qu’on veut ; ils ont un langage hiéroglyphique ou plutôt élastique qui prouve à volonté la richesse ou la misère. Je vous avoue, Monsieur, que je n’ai aucune foi en de pareils témoignages. »

Le banquier se mordit les lèvres ; mais Mathieu Durand était résolu à sauver à la fois sa fortune et sa réputation. Par orgueil pour son avenir, il sacrifia courageusement l’orgueil du présent. Il répondit donc à M. de Lozeraie :

« — Je ne m’étonne pas, Monsieur, de vous voir partager ces préjugés des gens du monde sur le mode de comptabilité et de tenue de livres adopté dans les maisons de banque. Toutes ces nombreuses écritures que nous avons introduites pour prévenir, par un contrôle exact des unes sur les autres, la moindre apparence de fraude, ne semblent, aux yeux de ceux qui ne les connaissent pas, qu’un dédale inextricable où l’on espère égarer l’investigation des intéressés. Je ne puis donc vous en vouloir de ce que vous venez de me dire ; mais il y a entre nous quelque chose de plus net, de plus facile à comprendre, c’est la parole d’un homme d’honneur, et elle doit suffire.

— Et si elle ne me suffit pas, Monsieur ? dit le comte de Lozeraie.

— En douteriez-vous ? s’écria Mathieu Durand.

— Et à supposer que je ne doutasse pas de votre bonne foi, Monsieur, repartit le comte, n’ai-je pas le droit de douter de vos prévisions ? Une fortune comme celle de M. Mathieu Durand, renversée en quelques mois, atteste-t-elle beaucoup de prudence