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qui s’ouvrait devant lui. Il n’y avait pas deux heures que le marquis de Berizy et Daneau l’avaient quitté, lorsqu’il reçut une lettre de M. de Lozeraie qui l’avertissait de son retour d’Angleterre, en le priant de vouloir bien tenir à sa disposition les douze cent mille francs qu’il avait laissés dans sa caisse. Cette réclamation était d’une importance à jeter une nouvelle perturbation dans les affaires du banquier. Pour y satisfaire, il lui fallait nécessairement engager ou aliéner une partie des créances sur lesquelles il comptait, et, par conséquent, subir une nouvelle perte sur ces créances ; car on n’était pas à une époque où un emprunt comme celui-là, où une telle vente pût s’opérer à des conditions ordinaires. C’était mettre d’un seul coup Mathieu Durand au-dessous de ses affaires, lorsque, une heure auparavant, son actif dépassait encore son passif ; c’était le forcer à dévoiler, par une négociation de cette espèce, qu’il était réduit à ses dernières ressources ; c’était attaquer et perdre son crédit, cette fortune du financier : crédit contre lequel on ne pouvait, à vrai dire, articuler jusqu’à ce moment aucun retard ni aucune opération où se montrât la moindre gêne. Mathieu Durand réfléchit longtemps à cette nouvelle position ; il l’envisagea dans tout ce qu’elle avait de plus fâcheux ; il considéra que c’était toute sa vie financière et politique qu’il allait jouer d’un seul coup ; il pensa au sort de sa fille ; il vit la joie de tous ses anciens ennemis ; il reconnut enfin qu’il ne pouvait se sauver que par un coup décisif, et il se rendit sur-le-champ chez M. de Lozeraie. Celui-ci, lorsqu’on lui annonça le banquier, se rappela la longue attente que Mathieu Durand lui avait fait subir dans son antichambre. Il eut un moment l’envie de rendre au banquier le supplice qu’il en avait reçu ; mais comme, d’après ce qu’il avait entendu dire de la position de Mathieu Durand, M. de Lozeraie était véritablement alarmé pour les fonds qu’il avait laissés chez lui, l’intérêt de sa fortune l’emporta sur celui de sa vanité, et il fit entrer immédiatement Mathieu Durand. Pour la seconde fois, les deux parvenus se trouvèrent en présence. Le caractère de Mathieu Durand différait de celui de M. de Lozeraie en ce qu’il emportait avec lui toute la décision forte et rapide de l’orgueil qui trouve encore une espèce de satisfaction dans l’humiliation volontaire qu’il s’impose, tandis que la vanité de M. de Lozeraie gardait toutes les indécisions de la nature qui cherche à échapper par mille faux-fuyants à l’acte de soumission que les circonstances l’obligent à faire. Ainsi, lorsque Mathieu Durand se trouva en présence de M. de Lozeraie, il n’éprouva aucun embarras, aucune gêne, et l’aborda avec cette ferme assurance d’un parti pris sans arrière-pensée. Il commença la conversation par ces mots :