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Cependant Mathieu Durand n’en était pas là, car il se trouvait en présence de trois créanciers seulement dont les réclamations pouvaient avoir quelque importance. Le plus considérable était M. de Berizy, qui, comme nous l’avons dit, lui avait confié les fonds de la nouvelle vente faite à M. Félix ; le moindre des trois était M. Daneau, qui avait laissé chez le banquier les six cent mille francs qui lui revenaient sur le prix de ses maisons ; le troisième était M. de Lozeraie, parti pour l’Angleterre quelques jours avant la révolution de Juillet afin d’y terminer le mariage de son fils. Mais le fils du comte de Lozeraie, gentilhomme de la chambre et en passe d’arriver à tout sous le gouvernement de Charles X, ne parut plus au marchand de la Cité un parti assez convenable sous le gouvernement de Louis-Philippe, et M. de Lozeraie fut obligé de rentrer en France au bout de deux mois sans avoir pu réaliser ses brillantes espérances de fortune.

Voilà où en étaient vis-à-vis les uns des autres les divers personnages de cette histoire le 1er septembre 1830. Ce jour-là, et pour en revenir à notre point de départ, Mathieu Durand était encore dans son cabinet ; mais ce n’était plus en lui ni l’extrême bonheur du premier jour où nous l’avons vu, ni la joie inquiète du second, c’était une attitude triste quoique encore hautaine, abattue quoique décidée, c’était l’homme qui ne ployait pas sous son malheur, dont il reconnaissait cependant l’étendue. Ce jour-là les deux mêmes hommes que nous avons rencontrés dans le cabinet du banquier s’y trouvaient encore. Le premier était Daneau, le second le marquis de Berizy, le véritable homme du peuple et le véritable grand seigneur. Comme la première fois, le banquier lisait attentivement un papier qui paraissait vivement le préoccuper. Cette préoccupation était si grande, que le banquier, ayant devant lui M. Daneau et M. de Berizy, ne pouvait détacher les yeux de cet écrit, qui semblait lui causer une vive douleur.

« — Qu’est-ce donc ? dit enfin le marquis, quelque fâcheuse nouvelle, Monsieur ? »

Mathieu Durand se remit sur-le-champ et répondit d’une voix dont il chercha vainement à maîtriser l’émotion :

« — Non, rien qu’une satire, une satire indigne contre moi.

— Et cela vous affecte à ce point ? dit M. Daneau.

— C’est la main qui l’a écrite, Messieurs, qui me blesse plus encore que les coups qu’elle me porte. C’est un enfant, un jeune homme que j’ai fait élever, c’est le jeune Léopold Baron qui s’est servi de l’éducation que je lui ai donnée, des secrets qu’il a appris dans l’intimité où je l’avais admis, pour verser sur moi la calomnie et le ridicule.

— Quoi ! s’écria Daneau, ce petit M. Léopold, qui ne parlait jamais de