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Si je vous ai clairement expliqué, au commencement de ce récit, et par l’exemple de l’emploi des fonds de M. de Berizy placés en rentes sur l’État et disponibles pour quelque bonne opération ; si vous appréciez la position du banquier vis-à-vis d’un grand nombre de ses clients, vous comprendrez les pertes énormes qu’il eut à subir lorsque, obligé de rembourser rapidement tous les dépôts d’argent qui se trouvaient chez lui, il fut forcé de réaliser à quatre-vingt-sept des rentes cinq pour cent qu’il avait achetées cent dix, et à soixante-deux du trois pour cent qu’il avait acheté quatre-vingt-deux. Il ne fallut pas moins que l’immense perturbation apportée par la révolution dans les affaires commerciales pour amener une telle dépréciation des fonds publics et ébranler la fortune de ceux qui les possédaient comme gages de leurs propres dettes. D’un autre côté, cette dépréciation gagna toutes les valeurs et particulièrement les propriétés sises dans Paris, qui fut rapidement déserté à cette époque. Il en résulta encore que l’opération avec Daneau, qui eût été si avantageuse à toute autre époque, dut se réaliser en perte lorsque Mathieu Durand fut forcé de faire ressource de tout pour solder les capitalistes qui lui redemandaient leurs fonds. C’est à peine s’il vendit dix-huit cent mille francs des propriétés qu’il avait payées deux millions deux cent mille francs et qui auraient pu valoir trois millions, comme il l’espérait. Sans doute, ce ne pouvait être deux affaires aussi minimes que celle de M. de Berizy et celle de Daneau qui devaient amener la gêne dans une maison comme celle de Mathieu Durand ; mais en expliquant quels furent les fâcheux résultats de celle-ci, j’ai voulu vous faire comprendre quel avait dû être le résultat de beaucoup d’autres basées sur les mêmes prévisions et renversées par le même événement. Toujours est-il que deux mois après la révolution de Juillet, le banquier Mathieu Durand, ayant voulu satisfaire sur-le-champ aux exigences de ses créanciers, se trouva à peu près ruiné et possédant à peine en créances liquides, mais qui n’étaient pas immédiatement exigibles, ce qu’il pouvait devoir encore.

— Ruiné ! s’écria le poëte, mais il n’a jamais donné de bals si brillants !

— Vous savez bien que les anciens paraient la victime avant de l’immoler, dit le Diable. La banque est encore plus poétique ; elle se couronne de roses pour aller déposer son bilan…