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qui s’était entremis avec un rare empressement auprès de M. de Berizy pour empêcher la querelle de Durand et de M. de Lozeraie d’avoir des suites fâcheuses.

— Encore M. Félix qui arrive à point nommé ! reprit le poëte. Allons ! décidément c’est quelque héros de M. Scribe, un de ces braves gens qui ont toujours un million ou deux dans le gousset de leur pantalon.

— Eh ! fit le Diable, ceci ne manque pas d’un certain esprit supérieur. Les anciens avaient le dieu pour dénoncer leurs drames : et Deus intersit ! comme dit Horace. M. Scribe a inventé le million pour arriver au même but, et, si j’avais une foi quelconque, je préférerais en littérature comme partout le DIEU MILLION au dieu Jupiter ou Apollo.

Après cette réponse au poëte, le Diable continua :

— Cependant M. de Lozeraie, ayant accepté la proposition de M. de Berizy, se trouva par le fait avoir versé pour son compte douze cent mille francs chez Mathieu Durand, qui s’empressa de lui en offrir le remboursement immédiat dès qu’il sut les nouveaux arrangements pris par le marquis, lequel lui confia ses nouveaux fonds. M. de Lozeraie crut de sa dignité de prier le banquier de les garder, ne voulant pas donner à son adversaire un témoignage de défiance qui ne pouvait l’atteindre dans sa brillante position de fortune. D’un autre côté, Daneau consentit à la vente que lui avait proposée Mathieu Durand. Celui-ci prit le lieu et place de l’entrepreneur vis-à-vis des créanciers hypothécaires, et se trouva par conséquent débiteur vis-à-vis d’eux de douze cent mille francs, et vis-à-vis de Daneau de six cent mille francs : ce qui, avec les quatre cent mille francs qu’il avait avancés, formait les deux millions deux cent mille francs, prix des propriétés de Daneau. Sur ces entrefaites la révolution de Juillet arriva.

— Grande révolution ! s’écria le poëte.

— Je m’en vante ! fit le Diable.

— Qui a lancé la France dans la voie du progrès social.

— Et qui a rejeté la loi du divorce.

— Qui a renversé l’aristocratie.

— Et qui a fait les officiers de la garde nationale.

— Qui a moralisé les populations.

— Et institué le bal Musard.

— Vous lui tenez rancune, monsieur de Cerny, fit le poëte.

— De quoi ? de n’avoir rien fait de bon ? je n’en attendais rien de bon ; je n’étais pas comme Mathieu Durand, qui en avait espéré de superbes choses et qui n’y trouva que ruine.

— Comment, ruine ?

— Oui. Écoutez. LII