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M. de Lozeraie pâlit à ces paroles ; un éclair de haine jaillit de ses yeux, mais il se contint et repartit avec une insolence dédaigneuse :

« — Vous êtes monsieur Mathieu Durand, et je suis le comte de Lozeraie ; la distance qui nous sépare m’empêche de voir une insulte dans ce que vous venez de me dire.

— Je suis homme à vous offrir une longue-vue pour que vous y puissiez regarder, reprit le banquier.

— Pourvu qu’elle soit aussi longue qu’une épée, dit le comte, cela me suffira.

— Elle aura cette mesure, si cela vous convient, dit Mathieu Durand.

— Il suffit, repartit M. de Lozeraie.

Et il se retira.

Le lendemain, M. de Favieri et M. de Berizy se rendirent chez le banquier de la part du comte de Lozeraie et cherchèrent à s’interposer entre deux hommes à qui leur âge et leur position défendaient de compromettre légèrement leur vie ; mais, pendant deux ou trois jours que durèrent les négociations, ils les trouvèrent tous deux également inébranlables. Alors, étonnés de cette persistance, ils déclarèrent ne pouvoir servir de témoins dans un duel dont ils ne savaient pas au fond la véritable cause. Le banquier fut le premier à qui cette objection fut faite ; mais il déclara ne pouvoir révéler cette cause dont le secret appartenait à M. de Lozeraie.

Celui-ci, à qui l’on répéta l’objection et la réponse, se décida à avouer à M. de Berizy et à M. de Favieri le motif de sa visite à Mathieu Durand et la tournure qu’elle avait prise ; il s’empressa toutefois d’ajouter que Mathieu Durand s’était conduit en homme d’honneur, en gardant si fidèlement son secret. De son côté, le banquier ne put qu’approuver la conduite de M. de Lozeraie, qui avait sacrifié sa vanité au désir d’aplanir les obstacles qui s’opposaient à une rencontre les armes à la main.

— Et ils se battirent ? dit le poëte ; la banque se bat ?

— Ce ne fut pas du moins dans cette circonstance, dit le Diable.

Une fois les deux adversaires dans cette position vis-à-vis l’un de l’autre, il fut facile de leur faire avouer qu’il n’y avait point pour eux de raison sérieuse de se battre. Tous deux, en effet, obéissaient bien plus à un sentiment personnel de haine instinctive qu’à une commune susceptibilité du point d’honneur, et, une fois les circonstances de leur querelle connues, ils craignirent sans doute de montrer le secret de leur animosité et se déclarèrent mutuellement satisfaits. Du reste, cette affaire fut très-heureuse pour M. de Lozeraie, en ce sens que M. de Berizy lui proposa la résiliation de son contrat ; car il avait trouvé un nouvel acquéreur de sa forêt, et ce nouvel acquéreur était le vieux M. Félix de Marseille,