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la vie une solennité inutile. Somme toute, monsieur Durand, vous convient-il de me rendre, oui ou non, le service que je suis venu vous demander ?

— Et en quoi consisterait-il, à vrai dire ?

— À me faire exécuter le contrat que j’ai passé avec M. de Berizy, en prenant à votre compte les huit cent mille francs qui me restent à payer. Vous comprenez, du reste, que toutes garanties vous seraient fournies par moi et que je vous donnerais hypothèque sur la forêt que j’ai acquise. Ce n’est donc, à vrai dire, qu’un prêt hypothécaire de quelques mois que je vous demande.

— De quelques mois seulement ? dit le banquier, qui, tout en gardant à par soi l’intention de refuser, était charmé d’apprendre les affaires de M. de Lozeraie. Vous êtes donc assuré de pouvoir rembourse d’ici à ce terme ?

— Parfaitement sûr. Je marie mon fils. »

Cette nouvelle ralluma comme un coup de foudre dans l’esprit de Mathieu Durand le souvenir des premières impertinences de M. de Lozeraie, et il lui répondit en souriant :

« — Ah ! vous mariez votre fils ? Et sans doute vous vous alliez à quelque famille d’une grande noblesse ?

— Non, Arthur épouse la fille d’un marchand.

— Ah ! la fille d’un marchand ?

— Mais d’un marchand anglais, d’un homme considérable de la Cité. Vous savez ? en Angleterre, ces alliances sont très-communes, et puis la bourgeoisie anglaise n’est pas, comme la nôtre, sans famille, sans antécédents : il y a dans ce pays ce que je pourrais appeler une espèce de noblesse bourgeoise.

— Vous voulez dire de bourgeoise noble ?

— C’est cela, monsieur Durand ; je dois hypothéquer la dot de ma bru sur une de mes propriétés, et, en employant cette dot à l’entier payement de la forêt de M. de Berizy, je remplirai les clauses du contrat et je me libérerai envers vous. »

Mathieu Durand ne répondait pas. Le comte de Lozeraie attendit un moment, puis il lui dit :

« — Eh bien ! que pensez-vous de ma proposition ? »

Mathieu Durand se leva tout à coup, et répondit en donnant à l’accent de sa voix et à sa tenue toute la hauteur possible :

« — Je pense, Monsieur, que cette proposition eût été d’abord plus convenablement adressée à M. le marquis de Berizy ; car il est facile de s’entendre entre gentilshommes d’un rang que je dois supposer égal. Et s’il arrive que le gentilhomme de cour craigne de confier certaines choses au gentilhomme campagnard, attendu la différence énorme… d’idées qui existe entre eux, je pense, Monsieur, que la proposition eût été encore plus convenablement adressée au marchand anglais qu’au banquier français, au bourgeois noble qu’au bourgeois du peuple. Voilà ce que je pense Monsieur. »