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expliquer pourquoi j’en ai perdu beaucoup dans vos salons d’attente.

— Eh bien ! monsieur le comte, si vous voulez que nous n’en perdions pas tous les deux maintenant, veuillez m’expliquer l’affaire qui vous amène chez moi. »

Cet appel au but réel de sa visite sembla arrêter soudainement le courant de sotte vanité auquel M. de Lozeraie se laissait aller. Son embarras le reprit, et Mathieu Durand put comprendre, mieux qu’il ne l’avait fait encore, qu’il tenait dans ses mains les intérêts les plus graves de son ennemi. Le comte, cependant, reprit après un moment de silence :

« — Vous devez vous rappeler, Monsieur, l’arrangement qui nous fut proposé à tous deux par le marquis de Berizy, et par lequel je consentis à payer entre vos mains le prix d’une forêt que je venais de lui acheter ?

— Je me rappelle parfaitement, dit le banquier, que je consentis à recevoir ce prix au compte de M. de Berizy. »

M. de Lozeraie se mordit les lèvres de dépit à cette répétition sèche et froide du mot « consentir. » En effet, il lui était échappé sans intention d’impertinence ; mais l’habitude l’avait emporté sur la résolution d’être simple et poli, et il s’aperçut qu’il avait affaire à un homme qui était disposé à ne rien laisser passer qui eût la moindre mine de supériorité. Ce mouvement fut cruel, mais assez rapide pour que M. de Lozeraie reprit aussitôt :

« — Sur les deux millions que vous avez bien voulu vous engager à recevoir, douze cent mille francs ont été versés à votre caisse.

— Oui, Monsieur, et vous devez compléter le payement durant le mois où nous sommes.

— C’est pour ce dernier payement, Monsieur, que je désirerais obtenir de vous un délai de quelques mois.

— De moi, Monsieur ? reprit le banquier d’un air véritablement surpris ; je vous ferai observer que, dans cette affaire, je ne suis, à vrai dire, que le caissier de M. de Berizy et que lui seul peut vous accorder ce délai.

— Je m’attendais à cette observation, monsieur Durand, et c’est pour y répondre que je crois devoir vous faire le récit de l’événement qui m’empêche de remplir mes engagements. »

Ici le banquier s’inclina, et M. de Lozeraie reprit :

« — Lorsque je fis cette acquisition, Monsieur, j’avais l’espérance de voir arriver entre mes mains l’entreprise des diverses fournitures nécessaires à l’expédition d’Alger.

— Je comprends Monsieur, repartit dédaigneusement le banquier, et vous comptiez sur les bénéfices énormes résultant d’une spéculation si honorable pour compléter les sommes nécessaires au payement de votre acquisition.

— Non, Monsieur, repartit M. de Lozeraie, le prix de