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pas ce que j’ai été, moi, qui ai été peut-être moins que vous.

— Tenez, Monsieur, dit Daneau avec un de ces mouvements de résolution que prend un blessé qui se sent en danger et qui tend au chirurgien une jambe ou un bras à couper ; tenez, donnez-moi deux millions quatre cent mille francs, et c’est une affaire faite. »

Le banquier serra dans son carton le contrat d’hypothèque et lui répondit froidement :

« — J’ai fait tout ce que j’ai pu pour vous sauver ; je suis fâché de vous voir si peu raisonnable. Adieu, Monsieur, cette affaire ne me regarde plus ; vous verrez M. Séjan pour la liquidation de votre compte.

— Mais, Monsieur…

— Pardon, voilà deux heures que M. le comte de Lozeraie m’attend ; et, en vérité, malgré toute mon envie de donner tout mon temps aux hommes qui ne sont comme moi que des commerçants et des industriels, ce serait me montrer plus qu’impoli envers un grand seigneur si-patient.

— Je vais voir M. Séjan, dit Daneau confondu.

Le banquier le salua, et, pendant qu’il donnait l’ordre d’introduire M. de Lozeraie et que celui-ci entrait dans son cabinet, Mathieu Durand écrivit quelques lignes qu’il cacheta et qu’il donna au domestique en disant :

« — Tout de suite à M. Séjan. »

Voici ces quelques lignes :

« Soyez ferme dans l’affaire Daneau, et nous aurons, pour deux millions cent mille francs des propriétés qui, en saisissant une occasion favorable, vaudront plus de trois millions. »

Aussitôt que le valet de chambre fut sorti, le banquier fit signe à M. de Lozeraie, et les deux parvenus restèrent seuls en présence.

— Mathieu Durand a fait cela ? dit l’homme de lettres en regardant le comte assez sérieusement pour que le baron s’aperçût que le Diable commençait à obtenir l’espèce d’attention qu’il désirait.

— Oui.

— En êtes-vous sûr ?

— Je vous nomme les personnes, je vous dis les chiffres exacts.

— Mais où diable avez-vous appris tout cela ?

— Je vous le dirai quand j’aurai fini.

— Savez-vous qu’avec de pareils secrets on pourrait mener loin un homme comme Mathieu Durand ? dit le poëte.

— Ah ! je vous jure, reprit Satan, que si sa fille me plaisait comme elle vous plaît, elle serait bientôt à moi… surtout avec ce qui me reste à vous apprendre.

À cette dernière phrase, Luizzi commença à deviner l’intention de Satan, et il écouta tandis que celui-ci continuait.