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voudrez pas me perdre, non-seulement de fortune, mais de réputation, vous en êtes incapable. »

Le banquier parut ému et répondit :

« — Croyez que, si je n’avais pas un besoin pressant de mes capitaux, je ne serais pas si rigoureux. Mais, dès le jour où je vous les ai prêtés, ils avaient une destination. Je me suis engagé, je n’y puis plus rien.

— En ce cas, Monsieur, dit Daneau avec désespoir, je verrai… je verrai… »

Il s’apprêtait à sortir, lorsque le banquier le rappela.

« — Écoutez, monsieur Daneau, je ne veux pas qu’on puisse dire que j’aie jamais manqué à secourir un honnête homme, et un homme comme moi sorti du peuple. »

L’entrepreneur revint avec un air d’empressement joyeux, et attendit avec anxiété les paroles du banquier, qui paraissait lui-même assez embarrassé de ce qu’il allait dire. Enfin celui-ci se décida et reprit :

« — D’après vos calculs, vous avez une somme de 2 millions 100, 000 francs engagée sur vos propriétés ?

— Oui, Monsieur.

— Faites-moi une vente de ces propriétés pour 2 millions 200, 000 francs, et vous êtes complètement liquidé.

— Mais, Monsieur, repartit Daneau avec humeur, étonné qu’il était de la proposition du banquier, et oubliant que ce même homme qui lui offrait d’acheter une propriété de 2 millions 200, 000 francs venait de lui dire qu’il avait un besoin pressant de ses capitaux ; mais c’est m’enlever tout le bénéfice de mon opération !

— Comment ! dit le banquier, qu’avez-vous engagé en fonds ? trois cent mille francs, pour commencer, il y a un an, le payement de l’achat des terrains : tout le reste est provenu d’emprunts successifs. Il en résultera qu’avec trois cent mille francs vous aurez réalisé, en un an, un bénéfice de cent mille francs. C’est de l’argent placé à 33 pour 100. Je ne connais aucun commerce qui donne des résultats si exorbitants, et la haute banque, contre laquelle on crie tant, est bien loin d’arriver au quart de bénéfices pareils sur des capitaux qu’elle engage très-souvent plus légèrement qu’elle ne le devrait.

— Cela se peut, Monsieur, dit Daneau ; mais dans l’affaire qui me regarde, vous oubliez que j’ai eu à payer les intérêts des capitaux empruntés, les frais d’acte.

— C’est juste, dit le banquier, et je vous en tiendrai compte.

— Alors j’aurai couru tous les risques de cette affaire, j’aurai travaillé pendant un an…

— Pour gagner cent mille francs : cela me semble assez beau, surtout en considérant d’où vous êtes parti !

— Mais, dit l’entrepreneur avec fierté, du même endroit que vous.

— Pardon ! fit le banquier avec hauteur, je ne parle pas de l’homme, mais du capital engagé. Je n’oublie