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pas voulu l’attendre, mais qu’il avait annoncé qu’il repasserait dans la journée. D’un autre côté, Mathieu Durand eut lieu d’être encore plus surpris lorsqu’il apprit également de son valet de chambre que M. le comte de Lozeraie avait déclaré qu’il attendrait que M. Mathieu Durand eût terminé ses affaires. M. de Lozeraie, attendant dans l’antichambre de Mathieu Durand, jeta dans le cœur de celui-ci une telle bouffée d’orgueil satisfait qu’il oublia un moment le sans-façon de M. Daneau à son égard, et donna l’ordre d’une voix retentissante d’introduire les autres personnes qui étaient dans l’antichambre. Celles-ci étaient des gens de commerce, qui, sur la haute réputation de bienfaisance de Mathieu Durand, venaient, comme l’avait fait autrefois M. Daneau, expliquer leur fâcheuse position au banquier et solliciter l’appui généreux que l’entrepreneur avait obtenu. Mathieu Durand avait pour les solliciteurs commerciaux une phrase toute faite, comme pour les solliciteurs politiques. Ses nouvelles fonctions de député, disait-il, absorbaient tout son temps, et il avait complètement abandonné la direction de sa maison de banque à M. Séjan, qui, disait-il, ferait tout ce qu’il serait possible de faire, et chez lequel il les renvoyait avec une bonne grâce extrême. Le chef de la comptabilité les recevait avec cette figure immobile de financier qui ne tire le verrou qui semble clore ses lèvres que pour laisser échapper ce peu de mots : « Monsieur, cela est complètement impossible. » D’où il résultait que M. Séjan endossait à son compte l’insensibilité du banquier, qui gardait par devers lui sa réputation de bienveillance et de générosité.

Toutes les audiences se trouvant épuisées, on dit à Mathieu Durand que M. Daneau était de retour, et le banquier, voulant épuiser jusqu’à la dernière goutte le plaisir de faire faire antichambre à M. le comte de Lozeraie, admit l’entrepreneur en sa présence.

« — Vous m’avez fait mander, Monsieur ? dit M. Daneau en arrivant d’un air souriant.

— Oui, Monsieur, repartit le banquier assez sèchement, et j’aurais désiré vous voir plus tôt, attendu que la conversation que nous devons avoir ensemble est fort importante.

— C’est votre faute, monsieur Durand, dit l’entrepreneur avec une grâce obséquieuse. »

Mathieu Durand fronça le sourcil.

« — C’est votre faute, continua l’entrepreneur ; ne m’avez-vous pas dit, la première fois que j’ai eu l’honneur de vous voir, que le temps était un capital qu’il ne fallait pas gaspiller ? Or, j’ai profité de celui que me laissaient les nombreuses visites que vous aviez à recevoir, pour aller à quelques affaires. »