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une faible somme sur le dépôt que je ferais de ces documents, pour attendre le jour où mes réclamations seront enfin admises grâce à votre éloquente intervention, je m’estimerais bien heureux.

— C’est une chose qui vous sera bien facile, je suppose, dit Mathieu Durand en prenant le chemin de la porte de son cabinet, comme pour le montrer à son protégé, avec une aisance qui annonçait de la part du banquier de grandes dispositions à devenir ministre.

— Si vous le croyez, dit le fournisseur en suivant le banquier, ne vous serait-il pas possible, monsieur Durand… ?

— À moi, Monsieur, dit le député ; hélas ! non. Ma maison s’est absolument interdit ce genre d’opérations. Je le voudrais, que je ne le pourrais pas. Je n’en suis pas moins tout à vous, Monsieur, et, lorsque votre pétition arrivera à la Chambre, vous pouvez entièrement compter sur ce que vous appelez mon éloquente intervention. »

Et en disant cela, le banquier ouvrit lui-même la porte de son cabinet et salua le pétitionnaire d’un air de politesse parfaite, qui recouvrait admirablement cette phrase intérieure : « Faites-moi le plaisir d’aller au diable ! »

Après ce pétitionnaire il s’en présenta un autre, qui venait soumettre à M. Mathieu Durand un projet de réforme financière, lequel ne tendait pas moins qu’à supprimer la patente, l’impôt sur les boissons, celui sur le sel, le monopole du tabac, et à combler le déficit que cela ferait au budget en diminuant de moitié tous les traitements des fonctionnaires publics. Le banquier, sans admettre l’application radicale des idées du réformateur, en approuva vivement le principe et déclara qu’il était temps d’introduire le système d’économie sévère dans les dépenses publiques et de faire cesser l’impudent gaspillage qu’on faisait de la fortune du peuple, ajoutant qu’alors il serait possible d’arriver à la réalisation des idées du pétitionnaire, idées qu’il l’engageait, dans tous les cas, à soumettre à la Chambre, afin de l’habituer à entendre parler d’économie et de réforme.

— Ce n’est pas là le Mathieu Durand que je connais, le vrai et franc patriote que tous ses amis admirent, dit le poëte.

— C’est possible, repartit le Diable ; je ne peins pas celui que vous connaissez, mais celui que je connais, moi.

— Je ne vous ai jamais vu chez lui.

— J’y suis pourtant souvent, dit Satan ; et il reprit :

Lorsque Mathieu Durand eut renvoyé ce grand économiste avec la même cérémonie qu’il avait employée vis-à-vis de l’ex-fournisseur, il donna l’ordre à son valet de chambre d’introduire M. Daneau, et sa colère fut grande en apprenant que l’entrepreneur n’avait