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Lozeraie, à cacher la sienne ; tous deux détestant les hommes de haute et vraie noblesse, mais tous deux les détestant moins qu’ils ne se détestaient eux-mêmes. D’un autre côté, l’on peut dire que ces deux hommes étaient l’un le représentant de certaines vieilles idées, l’autre le représentant de certaines idées nouvelles. M. de Lozeraie était le parvenu de tous les temps, celui qui, se conformant aux idées reçues sur les avantages d’une haute naissance, fait tout au monde pour donner à croire qu’il possède ces avantages. Mathieu Durand était le parvenu d’aujourd’hui, celui qui, s’appuyant sur un principe absolu d’égalité sociale et de valeur individuelle, répudiait toute illustration de famille, toute considération héréditaire, pour poser le moi comme une puissance qui ne tire rien que d’elle-même, et qui est presque égale à celle de Dieu. S’il faut tout dire, je pense que le vieux M. Félix avait sincèrement exprimé la vérité de ces deux caractères en appliquant à Mathieu Durand le mot orgueil et à M. de Lozeraie le moi vanité.

— Ce doit être quelque vieux gentilhomme de vos amis, fit le poëte, un homme de haute et vieille roche… Vous en parlez trop bien.

Le Diable ne répondit pas, et reprit :

— Maintenant que je pense vous avoir expliqué à peu près quelles étaient les dispositions de ces deux hommes vis-à-vis l’un de l’autre et vis-à-vis du monde, je continue mon récit ; je vais vous rapporter les diverses scènes qui se passèrent entre eux et qui furent les conséquences de ce que je vous ai déjà raconté.

Luizzi, qui connaissait la manière de raconter du Diable, pensa qu’il devait avoir de bonnes raisons pour allonger aussi indéfiniment son récit, et il écouta afin d’observer s’il produirait sur le poëte l’effet prédit par Satan, qui continua. L

C’était, cette fois, dans les premiers jours de juillet 1830. Mathieu Durand revenait de l’Étang, où il avait laissé Delphine dans un tel état de douleur qu’elle avait été sur le point de battre son père. Il était encore assis dans le cabinet où nous l’avons vu au commencement de ce récit. Mais le banquier n’avait plus cet aspect de bonheur calme et de suprême contentement de lui-même qui rayonnait sur son