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de robes, cassé une foule de jolis petits meubles : toutes ces démonstrations de sa profonde douleur avaient trouvé Mathieu Durand inexorable.

« — Est-ce le titre qui te plaît ? disait-il à sa fille ; mais, si tu veux, je te ferai la femme d’un marquis ou d’un duc.

— Je veux être la femme d’Arthur, répondit-elle.

— Mais, reprenait Mathieu Durand l’homme du peuple, ce M. de Lozeraie est un intrigant parvenu, c’est le fils de quelque huissier de province qui a volé les titres dont il se pare.

— Mais vous, mon père, lui répondait Delphine, n’êtes-vous pas le fils d’un ouvrier ? Vous le dites à qui veut l’entendre.

— Oh ! moi, c’est différent, Delphine, dit le banquier avec une colère mal déguisée ; moi, je ne renie pas mon origine, je m’en vante, je m’en honore, j’en suis fier. »

Delphine était bien loin de comprendre ce calcul de l’orgueil qui poussait sans cesse Mathieu Durand à dire qu’il était un homme du peuple et à être blessé de cette qualité dès le moment qu’un autre que lui-même la lui donnait. Aussi ne s’arrêta-t-elle pas à la distinction établie par son père, et, se retranchant dans l’expression de sa capricieuse volonté, elle recommença à s’écrier que, si elle n’était pas la femme d’Arthur, elle en mourrait. Cela dura huit jours, au bout desquels elle apprit qu’Arthur était parti pour Londres. Delphine fut grandement humiliée de cette nouvelle. En effet, depuis huit jours elle s’étonnait de n’avoir pas encore rencontré Arthur escaladant les murs du parc, séduisant un jardinier ou tout au moins une chambrière pour parvenir jusqu’à elle, lui proposant de l’enlever en chaise de poste, et menaçant de se tuer à ses pieds si elle ne consentait pas à ses désirs. Comme l’aveuglement de sa propre vanité attribuait à l’amour toutes les sottes démonstrations qu’elle avait faites pour Arthur, elle ne concevait pas que la passion d’un homme n’eût pas été de beaucoup au delà, et surtout une passion qu’elle inspirait. Le départ d’Arthur apporta donc à mademoiselle Durand un cruel désenchantement, non point, à vrai dire, sur son propre compte, mais sur celui d’Arthur. Elle ne s’estima pas moins capable d’inspirer la passion la plus romanesque, mais elle jugea Arthur incapable de la sentir. La colère et le dépit qu’elle éprouva en cette occasion auraient dû faire cesser les simagrées d’une douleur qui n’existait pas ; mais avouer à son père qu’elle ne se souciait plus de M. Arthur de Lozeraie, c’était avouer qu’elle pouvait avoir tort, et elle n’en persista pas moins à répéter : « Je veux Arthur, ou la mort. » En conséquence elle refusa de voir qui que ce fût. Elle s’enferma chez elle, ne s’occupant que de sa douleur : ce qui lui fit dire un mot que nous croyons digne d’être rapporté. Un jour que son