Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/380

Cette page n’a pas encore été corrigée

et vous comprendrez alors que j’ai le droit de parler ainsi. »

Il arriva de ceci que lorsque M. de Lozeraie, qui avait remarqué l’émotion de son fils quand il avait pris la main de Delphine, crut devoir répéter à Arthur l’ordre de ne plus chercher à rencontrer cette jeune personne, il trouva une obéissance moins rapide et moins absolue que d’habitude. Arthur crut devoir représenter à son père que les alliances de la noblesse et de la finance n’étaient plus une chose si rare pour qu’il en repoussât l’idée avec tant de dédain. Le comte, irrité de ce semblant de résistance, ne crut pas pouvoir faire sentir assez à son fils la bassesse de ses opinions, et il conclut une fort belle tirade sur le respect qu’on doit à son nom par ces paroles :

« — Je comprends que des hommes d’un nom nouveau, ou des membres de la vieille noblesse qui ont compromis le leur dans de fâcheuses spéculations, cherchent ou à s’enrichir ou à rétablir leur fortune par de pareilles alliances ; mais, quand on s’appelle de Lozeraie et quand on a votre fortune, on est plus scrupuleux en pareille matière. Oui, Arthur, c’est à des hommes comme nous qu’il est réservé de maintenir ces principes rigoureux d’honneur et de dignité qui rendront bientôt à la noblesse l’éclat et la position qu’elle a perdus en partie.

— Mais, mon père, répondit Arthur, comment se fait-il que ce nom et cette fortune aient été ce soir le sujet de commentaires assez fâcheux ? »

Il n’en fallait pas davantage à M. de Lozeraie pour qu’il exigeât un récit exact de tout ce qui avait été dit, et Arthur, pressé de questions, fut forcé de répéter à son père les propos de mademoiselle Delphine Durand et de M. Félix. Toute la colère de M. de Lozeraie ou du moins toute celle qu’il laissa voir éclata contre M. Durand, et Arthur fut prévenu que rien au monde ne pourrait forcer le comte à consentir au mariage de l’héritier de son nom avec la fille d’un manant parvenu comme M. Durand. Arthur dut croire que cette décision était irrévocable, car le lendemain au matin il reçut de son père l’ordre de partir pour Londres. Il quitta Paris persuadé qu’on avait voulu le séparer de Delphine, et sans supposer qu’on avait peut-être voulu prévenir, avant tout, une nouvelle rencontre avec M. Félix. De son côté, Mathieu Durand, si faible d’ordinaire pour Delphine, s’était montré inébranlable. Elle lui avait dit vainement qu’elle mourrait de désespoir si elle ne devenait pas la femme d’Arthur, vainement elle avait eu des attaques de nerfs : rien n’avait touché le banquier. Delphine avait cependant chassé ses deux femmes de chambre, mis son maître de dessin à la porte, jeté la musique au nez de son professeur de piano, renvoyé trois chapeaux à Alexandrine, déchiré une douzaine