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pour quelques affaires, et je suis charmé que celle-ci s’arrange de cette façon. »

Le comte et le banquier firent un signe d’assentiment.

« — Demain, mon notaire rédigera les actes qui assureront la validité de votre payement entre les mains d’un tiers, et tout sera parfaitement en règle, dit M. de Berizy en s’adressant à M. de Lozeraie.

— Monsieur le comte de Lozeraie n’a-t-il aucune observation à faire, aucune mesure à prendre ? reprit le banquier.

— Mon homme d’affaires passera chez vous, Monsieur, dit M. de Lozeraie.

— Mon caissier le recevra, repartit Mathieu Durand, et il recevra l’argent si quelqu’un l’apporte. »

Ils se saluèrent tous deux, et ils allaient quitter le salon, lorsqu’il se fit un mouvement à la table de whist, et l’on quitta le jeu. M. de Favieri entrait en ce moment.

« — Avez-vous été heureux, monsieur Félix ? » dit-il à l’un des joueurs.

Le comte et le banquier se retournèrent soudainement à ce nom de Félix, et ils reconnurent chacun à part soi le vieillard qu’ils avaient si mal accueilli la veille. Tous deux furent également étonnés de le voir chez M. de Favieri, mais leur surprise fut plus grande encore lorsqu’ils l’entendirent répondre négligemment à M. de Favieri :

« — Non, vraiment, j’ai perdu vingt-quatre fiches en trois robs. Heureusement, ajouta-t-il en tirant un portefeuille de sa poche et en jetant un paquet de billets de banque sur la table, nous ne jouions qu’à 500 francs la fiche. »

— Oh ! ah ! oh ! fit le poëte, que ce M. Félix est bien trouvé ! qui diable est-il ? Il ressemble singulièrement à l’homme gris, à l’inconnu de toutes les comédies passées d’Alexandre Duval… humphr ! c’est diablement Théâtre-Français !

— Et le comte de Lozeraie me paraît à moi d’assez mauvais goût, dit Luizzi ; c’est pourtant un grand nom.

— Non, reprit le poëte, c’est ce M. Félix que je voudrais connaître. Je vous déclare que j’en fais mon héros. Je le vois d’ici ouvrant sa redingote et sa chemise en s’écriant : « Reconnais-tu cette cicatrice ? » Mais, plaisanterie à part, quel est ce M. Félix ? il me semble l’avoir vu chez le banquier.

— Il paraît, dit le Diable en riant, que le système de personnages inconnus excite autant de curiosité dans la vie qu’au théâtre, car Durand et le comte cherchaient à s’expliquer quel pouvait être cet homme qui était venu chez eux comme un solliciteur indigent, et qu’ils retrouvaient chez un des plus riches capitalistes de l’Europe, faisant la partie des joueurs les plus célèbres par l’énormité du taux de leurs enjeux, et perdant si indifféremment