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avec mademoiselle de Favieri.

— Peut-être ; et, si votre papa le veut, il le faudra bien. »

Arthur, piqué au vif, se tut, et la contredanse allait commencer lorsqu’il aperçut son père qui lui faisait signe. Quoi qu’il en eût, il quitta aussitôt sa place, malgré tout-le dépit qu’il éprouvait de montrer ainsi son obéissance, et alla vers le comte, qui lui dit sèchement :

« — Avez-vous invité mademoiselle de Favieri ?

— Elle n’était plus là, dit Arthur en rougissant, et…

— Quelle est cette jeune fille avec qui vous causiez ? Vous sembliez la connaître ?

— C’est la fille de M. Mathieu Durand, ce banquier si riche, si…

— Bien ! bien ! fit le comte ; je sais ce que c’est que M. Mathieu Durand, une espèce d’ouvrier parvenu.

— On le dit très-honorable, très-probe.

— Voulez-vous que ce soit un fripon ? Que diable serait-il s’il n’était pas honnête homme ! En tout cas, dispensez-vous d’être si attentif près de sa fille. »

Arthur ne savait que répondre. Heureusement pour lui, son père fut abordé par le marquis de Berizy et Mathieu Durand en personne. M. de Berizy dit à M. de Lozeraie qu’il désirait l’entretenir un moment, et celui-ci allait le suivre, quand Delphine, s’approchant de Mathieu Durand, lui dit :

« — Est-ce que nous restons longtemps encore ?

— Mais, Delphine, le bal commence à peine.

— C’est égal ! reprit l’enfant gâtée, je m’ennuie, je veux m’en aller.

— Quand tu voudras, dit Mathieu Durand, ou plutôt quand j’aurai parlé un moment d’affaires avec ces Messieurs.

— Mon Dieu ! vous apportez les affaires jusqu’au bal, papa. Vous êtes étonnant !

— Il est bien plus étonnant, Mademoiselle, dit M. de Berizy en riant, qu’à votre âge et jolie comme vous l’êtes on y apporte l’ennui. »

Il y avait dans le ton du marquis une si haute expression de l’homme du grand monde, que Delphine se sentit flattée de cette paternelle leçon.

« — Mon Dieu ! dit-elle, si je m’ennuie, c’est que je ne sais que faire.

— Hé ! voilà qu’on va danser, dit le marquis, et voilà un jeune homme, ajouta-t-il en se tournant vers Arthur resté près d’eux, qui sera ravi de vous distraire.

— Je serai trop heureux !… » s’écria Arthur vivement.

Mais un regard de son père l’arrêta, tandis que Mathieu Durand disait à sa fille :

« — Allons, Delphine, danse au moins une fois ; c’est bien peu pour tout un bal. »

Aussitôt Delphine, prenant un petit air de pensionnaire, répondit d’une voix apprêtée :