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d’un courage surhumain, il s’assit sur le siége vide qu’avait abandonné mademoiselle de Favieri, allant ainsi au delà des strictes convenances qu’il respectait d’ordinaire plus que personne. Delphine ne put s’empêcher de sourire de ce triomphe qu’elle venait de remporter, mais il ne suffit pas à la calmer. Elle en voulait à Arthur de ce qu’il n’avait pas plu à Flora. Elle lui en aurait probablement voulu aussi si celle-ci l’eût trouvé charmant. C’est une si bonne chose pour certaines femmes que de pouvoir faire une querelle à l’homme qu’elles aiment, que tout leur est prétexte, surtout quand cet amour n’est, à vrai dire, qu’un sentiment de vanité tyrannique.

— Mademoiselle Durand, dit le poëte en interrompant le récit, n’en est pas moins une personne délicieuse.

— Immensément riche, et qui, si elle rencontrait un homme qui sût la dominer, deviendrait la plus douce, la plus charmante femme du monde, repartit le Diable.

— Je l’ai toujours pensé, dit le poëte.

— Une femme que son père devrait donner à un homme comme lui, distingué, mais sorti du peuple.

— Prenez garde ! dit Luizzi, Monsieur a dit qu’il l’épouserait.

— Je suis un homme du peuple aussi, Messieurs, fit le poëte en se redressant.

— Et entre gens du peuple comme vous et Mathieu Durand, personne ne déroge, dit le Diable en souriant ; mais, si vous voulez me permettre de continuer, vous verrez que les chances ne sont peut-être pas aussi faciles que vous le croyez.

En effet, Arthur, assis à côté de Delphine, lui disait :

« — Ainsi, vous ne danserez pas avec moi ?

— Non.

— Et vous danserez avec d’autres ?

— Oui.

— C’est ce que nous verrons.

— C’est ce que vous verrez. »

En ce moment Léopold s’approcha de mademoiselle Durand pour l’engager ; mais elle lui répondit :

« — Pardon ! j’ai promis à M. le vicomte Arthur de Lozeraie.

— Ah ! s’écria celui-ci tout bas, vous êtes un ange !

— Ce n’est pas pour vous, je vous le jure, que j’ai refusé ce Monsieur. »

Arthur, ravi, crut cette réponse l’effet d’un reste de dépit. Il se trompait, elle était l’expression de la pensée de Delphine. Si, au lieu de Léopold, le commis de son père, quelque jeune homme de grand nom s’était approché, elle l’eût accueilli ; mais sa vanité ne résista pas au bonheur de faire sentir au petit commis que sa prétention était bien déplacée et qu’il était un très-petit garçon à côté du vicomte de Lozeraie.

« — Ainsi, vous danserez avec moi ? reprit Arthur.

— Ni avec vous ni avec personne. Laissez-moi, et allez inviter mademoiselle de Favieri.

— Je vous jure que je n’ai aucune envie de danser