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commerce un nom aussi intact que pourrait être le vôtre, par exemple.

— Le mien, monsieur Durand, je vous dois de l’avoir conservé honorable, et je l’écrirai, si vous voulez me le permettre au bas de cette lettre.

— Oui, dit le banquier d’un air assez indifférent, je comprends que votre nom en attirerait beaucoup d’autres.

— Ce serait le vôtre, monsieur Durand ; et, si je présentais cette lettre à signer à tous mes confrères, ils n’hésiteraient pas.

— Il est certain que, si une pareille lettre était signée par un grand nombre d’électeurs, je pourrais me décider à me mettre en avant cela m’encouragerait, cela…

— Je vous promets deux cents signatures d’ici à deux jours ! s’écria l’entrepreneur emporté par son désir de reconnaître les services de Mathieu Durand.

— C’est beaucoup, dit le banquier…

— Me permettez-vous de le tenter ?

— Ce sera peut-être un essai inutile.

— Ce sont mes affaires, monsieur Durand… ce sont mes affaires, dit Daneau tout fier de la victoire qu’il sentait avoir remportée sur la modestie du banquier.

— Faites donc vos affaires, lui répondit Mathieu en souriant. Mais puisque vous m’y forcez, je veux bien qu’on sache une chose c’est que c’est au peuple que je m’adresse, que je suis un enfant du peuple, que c’est de lui que je veux recevoir mon mandat, oui c’est pour lui que je veux l’exercer.

— Oui, Monsieur, oui, et vous verrez que le peuple est reconnaissant.

— C’est bien, mon bon monsieur Daneau ; cachons ce papier, et qu’il n’en soit plus question aujourd’hui. Mais vous ne connaissez pas l’Étang, je vais vous le montrer. Vous devez savoir apprécier des constructions de cette importance : c’est aussi votre affaire. »

Et, pendant une heure, le banquier et le maçon se promenèrent à travers un parc magnifique, planté des arbres les plus rares, semé d’eaux vives et de parterres admirablement tenus. Ils arrivèrent ainsi jusqu’à la demeure princière du banquier, vieille propriété qui avait appartenu à l’une des familles les plus considérables de France, et qui gardait encore les fossés et les ponts-levis féodaux, lesquels ne s’abaissaient plus que devant les pas de l’homme du peuple, Mathieu Durand.

— Et c’était l’œuvre dudit Mathieu Durand, fit le poëte, que ledit Mathieu Durand faisait si adroitement signer à Daneau. Le tour me semble assez bon.

— Il n’est pas trop littéraire, repartit le Diable. Ordinairement, en bonne littérature, on signe plutôt ce qu’on n’a pas fait que de le donner à signer aux autres.

— C’est une calomnie contre la littérature, Monsieur, dit le poëte au Diable.

— Comme le portrait de Mathieu Durand passera pour une calomnie contre la finance, repartit Satan. Quand on crie au filou dans la rue, il y a bien des passants qui se retournent.