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Quand on a un grand nom, il est assez clair qu’on s’en grise. Mais ce qui me paraît le plus curieux, c’est le monsieur Félix ; c’est l’homme gris de votre histoire, il me semble. Qu’est-ce que c’est que ce monsieur ?

— Ce que je ne vois pas, dit le baron, ce sont les rapports qu’il peut y avoir entre Mathieu Durand et M. de Lozeraie.

— Chaque chose viendra en son temps, repartit le Diable, et, si vous voulez m’écouter, vous allez l’apprendre. Je ne fais ni drames ni comédies, mais je ménage mes effets, comme vous dites au théâtre. Et Satan reprit : XLVII

UNE CIRCULAIRE ÉLECTORALE.

Le lendemain de ce jour, Mathieu Durand se promenait dans une des allées du parc de l’Étang, relisant une fois encore l’écrit qu’il avait si attentivement lu la veille et dont Léopold avait apporté les copies que le banquier lui avait demandées. On était au milieu du jour à peu près, et Mathieu Durand semblait attendre avec impatience ; il regardait souvent en arrière comme pour voir si quelqu’un ne venait pas. Enfin, il aperçut un homme qui parut au bout de l’allée et dont l’arrivée sembla le charmer. Cet homme, c’était M. Daneau. Cependant, malgré le plaisir que sa venue semblait faire au banquier, il n’alla pas vers lui. Il continua sa promenade comme s’il ne l’avait point vu, mais d’un pas assez lent pour se laisser bientôt atteindre, et il recommença sa lecture en paraissant être complètement absorbé par ce qu’il lisait. Daneau fut bientôt près de lui. Il salua Mathieu Durand, qui lui fit un petit signe de tête amical en lui disant :

« — Pardon, je suis à vous. Si vous n’êtes pas fatigué, nous allons nous promener un moment ensemble.

— C’est me faire honneur.

Le banquier ne répondit pas et continua sa lecture pendant que l’entrepreneur marchait près de lui. De temps en temps Durand haussait les épaules en lisant, puis il laissa échapper quelques petits rires et quelques exclamations de pitié bienveillante comme celle-ci :

« — Le pauvre homme !… il est fou !… »

Enfin il parut ému de ce qu’il lisait et il se dit à lui-même :

« — Il y a du cœur là-dedans… Je ne puis lui en vouloir de cette exaltation. En vérité, ajouta-t-il en se tournant vers M. Daneau,