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sortir de la bouche de M. Peyrol. Elle voyait son visage agité, ses mains tremblantes, ses yeux égarés qui l’évitaient. Enfin Alfred, sentant lui-même que sa raison se perdait dans ce conflit de pensées si diverses, répondit à Eugénie :

« — Demain, demain, je vous répondrai. »

Après ces mots, il s’enfuit, ne voulant rien entendre, et Eugénie resta seule.

— Écoute, mon maître, je veux te faire sentir ce que peut être un pareil jour d’attente, ce que c’est que l’incertitude. Voici ce que j’ai à te dire : Peut-être n’es-tu pas si ruiné que tu le crois…

— Grand Dieu ! dit Luizzi.

— Mais peut-être l’es-tu plus que tu ne le penses. Du reste, tu sauras cela demain au soir.

— Dis-tu vrai ? s’écria Luizzi.

Et aussitôt, au lieu d’écouter le Diable, il se mit à parcourir la chambre en poussant les exclamations les plus folles et les plus désespérées.

— Oh ! s’il était possible ! disait-il ; mais non, tu me trompes, tu te railles de moi, tu me donnes cette espérance pour me rendre ma misère plus horrible. J’en avais accepté le fardeau, tu m’as peut-être trouvé trop de courage, et tu veux en redoubler le poids par une rechute… Cependant, si tu voulais me dire… Et pourquoi attendre à demain ?… Satan, parle, ne me donne pas des incertitudes plus affreuses que mon malheur.

Le Diable regarda Luizzi avec mépris et lui répondit :

— Eugénie fut plus noble et plus forte que toi, elle n’eut pas de ces cris convulsifs, elle ne se promena pas comme une folle en renversant les meubles, en criant à éveiller tout une maison ; et cependant, c’était plus qu’une fortune qu’elle pouvait perdre, c’était la suprême et dernière espérance de son cœur.

— Et elle la gagna, dit Luizzi, puisqu’elle est devenue madame Peyrol ?

— Oui, dit le Diable. Le lendemain, Alfred lui écrivit ces seuls mots : « Voulez-vous être ma femme ? »

— Et alors elle fut heureuse ? dit Luizzi, qui n’écoutait plus. Elle fut riche et aimée, elle eut une famille et un monde, et cette triste histoire se dénoua dans le bonheur ; elle fut moins à plaindre que je ne le pensais.

— Alors, dit le Diable, commença le nouveau chapitre de cette histoire : Pauvre femme !