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sa fille, qui était votre femme, a recueilli son héritage.

— En ce cas, cela pourrait tout au plus regarder mon fils, qui a recueilli l’héritage de sa mère. Mais où sont vos titres ?

— Quand je vous aurai fait le récit des circonstances où j’ai secouru M. de Loré, vous reconnaîtrez la vérité de ce que j’avance, quoique je ne puisse dire que j’aie des titres exacts.

— Ah ! je comprends, repartit le comte avec colère et mépris, quelque histoire arrangée sur des circonstances que le hasard vous aura apprises… Vous venez trop tard, Monsieur ; je connais cette industrie, et je vous conseille d’aller l’exercer ailleurs.

— Et je comprends aussi, répondit le vieillard sévèrement, que M. de Lozeraie sache mieux que personne comment on bâtit des histoires sur des circonstances apprises par hasard.

— Que veut dire ce misérable ? s’écria le comte.

— Moi ! rien, répondit humblement le vieillard ; mais vous m’avez dit que ma réclamation regardait monsieur votre fils. Je m’adresserai à lui.

— Qu’on jette cet homme à la porte ! dit le comte avec violence.

— Songez, reprit le vieillard, qu’il y va de l’honneur du nom de M. de Loré.

— Le nom de M. de Loré, comme le mien, est au-dessus de si basses intrigues.

— Votre fils ne pense peut-être pas de même.

— Je vous défends de voir mon fils, Monsieur ; je sais que les jeunes gens sont faciles à séduire, et je vous avertis qu’à la moindre tentative de votre part, je saurai y mettre un terme. Les tribunaux punissent ces tentatives d’escroquerie.

— Ils punissent aussi les suppositions de titres, » dit le vieillard.

Ce mot parut frapper le comte d’une complète stupéfaction, à laquelle succéda une violente colère. Mais le vieux M. Félix s’était déjà retiré au moment où elle éclata, et M. de Lozeraie, se tournant vers M. de Poissy, lui dit avec emportement :

« — Voilà pourtant à quoi nous sommes exposés, nous autres gens de vieille noblesse. Des intrigants s’arment de notre nom pour nous en menacer en nous épouvantant d’un scandale.

— Et quel succès peuvent-ils en attendre ?

— Eh ! mon Dieu, de prêter à rire à nos dépens à tout ce petit monde libéral qui ne demande pas mieux qu’une occasion de nous calomnier, et qui attribue à la complaisance des juges la condamnation de ces misérables. Tant qu’on ne pourra pas jeter de tels drôles dans un cul-de-basse-fosse, de façon à ce qu’on ne puisse pas en entendre parler, nous serons en butte aux plus ignobles intrigues. Mais il faut espérer que cela viendra. »

Aussitôt le comte de Lozeraie monta à cheval et partit au grand trot de l’animal.

— Eh bien ! que vous semble de mon gentilhomme ? fit le Diable.

— Il me semble être comme il y en a beaucoup, répondit le poëte.