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— Je ne puis cependant donner une telle somme sans y réfléchir, sans prendre des mesures.

— Une promesse formelle suffira. La parole d’un homme comme vous est un engagement sacré.

— Je le sais, reprit le comte avec un sourire vaniteux ; c’est pour cela que je ne la donne pas légèrement… Qu’on attende.

— Il suffit, dit M. de Poissy, je m’arrangerai pour que rien ne se termine avant après-demain.

— Je compte sur vous, vous y êtes aussi intéressé que moi… Je pars pour Saint-Cloud, adieu. »

Comme le comte allait sortir, le domestique entra encore et annonça M. Félix, de Marseille.

« — Je ne le connais pas, répondit le comte. Qu’est-ce que c’est que cet homme ?

— Un vieillard de près de quatre-vingts ans ; il dit qu’il a une lettre de recommandation pour monsieur le comte…

— Ah ! quelque mendiant… sans doute… Je n’y suis pas… »

Et, sans faire attention à ce qu’il venait de dire, M. de Lozeraie quitta son cabinet, traversa le salon et passa dans l’antichambre avant que le domestique eût eu le temps de dire à ce M. Félix que le comte de Lozeraie était absent. À son aspect, le vieillard se leva, et, l’abordant respectueusement, il lui dit en lui tendant une lettre :

« — De la part du vicomte de Couchy, de Lyon. »

Le comte s’arrêta et prit la lettre, sans répondre à la salutation du vieillard. Cette lettre était ainsi conçue :

« Mon cher comte, l’homme qui vous remettra cette lettre est un bon vieillard à qui la révolution a fait perdre sa fortune. Il vous dira son histoire, et je vous serai très-reconnaissant de ce que vous pourrez faire pour lui. »

Le comte jeta cette lettre sur une étagère, et dit à son domestique qui l’avait suivi :

« — Donnez deux louis à cet homme, et faites avancer mes chevaux.

— Monsieur le comte, reprit M. Félix en se plaçant entre lui et la porte, ce n’est pas l’aumône que je suis venu vous demander.

— Et qu’est-ce donc, s’il vous plaît ?

— C’est une restitution, Monsieur.

— Une restitution ! Je n’ai pas de dettes, Monsieur, et, si j’en avais, ce ne serait pas avec des gens de votre sorte.

— Aussi, Monsieur, reprit le vieillard d’un ton haut, ne parlé-je pas de vos dettes personnelles envers moi.

— Cela serait difficile.

— Peut-être, dit le vieillard ; mais je parle de celles de M. de Loré, votre beau-père. Il m’a emprunté de fortes sommes à l’étranger avant l’émigration, et je viens vous les demander.

— À moi ?… Je ne suis pas garant des dettes de M. de Loré, si tant est qu’il vous ait jamais dû quelque chose.

— Cependant, Monsieur