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— J’aime mieux ma fortune que celle du roi de France, Séjan, s’écria le banquier avec exaltation ; elle est plus solide que la sienne, elle s’appuie sur la popularité. La maison de Bourbon peut périr, la maison Mathieu Durand restera debout. »

Séjan leva les yeux au ciel, et le banquier, ayant donné les signatures que lui venait demander le directeur principal de sa maison, commanda ses chevaux et partit pour l’Étang.

Ni Luizzi ni le poëte ne firent d’observations. Alors le Diable continua ainsi : XLVI

UNE AUTRE ESPÈCE DE GENTILHOMME.

Le jour même où ces diverses scènes se passaient chez le banquier Mathieu Durand, dans la rue de Provence, une autre comédie se jouait, par un personnage bien différent, dans la rue de Varennes au faubourg Saint-Germain. Le principal acteur était le comte de Lozeraie. C’était un homme de cinquante ans passés, de haute taille, le visage busqué, l’air froid et dédaigneux, portant la tête au vent, parlant du bout des lèvres, mis avec une recherche qui savait prendre aux modes de l’extrême jeunesse ce qu’elles avaient de convenable à son âge, sans se laisser entraîner à ce qu’elles avaient de ridicule. Il était enfermé de même dans un cabinet de travail d’une grande richesse, tout luisant de brocart, de meubles dorés, de curiosités coûteuses, de porcelaines de prix. Cependant il paraissait prêt à sortir, car un valet de chambre venait de lui remettre son chapeau, ses gants, sa cravache, en lui annonçant que ses chevaux étaient prêts.

À ce moment, un jeune homme de vingt-quatre ans ouvrit la porte du cabinet, et salua le comte de Loseraie.

« — Ah ! vous voilà enfin, Arthur ?

— On m’a dit que vous me demandiez, mon père, et je me suis hâté de descendre.

— Vous auriez pu y mettre plus d’empressement.

— Pardon, mon père, j’achevais une lettre à un ami, à monsieur…

— En voilà assez, je ne vous demande pas compte de vos actions ; vous êtes d’un nom et d’un rang qui doivent vous mettre à l’abri de liaisons indignes de vous. »

Arthur baissa les yeux et ne répondit pas. Son père reprit :

« — Je vous ai fait mander pour vous prier de ne pas vous engager pour demain dimanche.

— J’aurais voulu le savoir, plus tôt,