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au moment où M. Séjan parut dans le cabinet de son patron.

« — Eh bien ! Séjan, où en sommes-nous ? lui dit le banquier.

— Toujours la même chose, Monsieur. Je crains que la fin du mois ne soit dure. Je n’ose presque plus tirer sur nos petits commettants de province, car la plupart des traites me reviennent.

— Ce sont des sommes sans importance.

— Sans doute ; mais elles se multiplient à l’infini. Dix, vingt, trente, mille francs de crédit ouvert sont peu de chose ; mais nous avons plus de six cents crédits pareils au grand-livre ; il y a plus de six millions engagés de cette manière ; nous avons près du double dans le petit commerce de Paris, dont nous ne sommes couverts qu’en papier dont la valeur m’est suspecte ; il y a un commerce de signatures effrayant.

— Je le crois comme vous ; mais il suffit de ma signature pour que la Banque prenne tous les bordereaux que je lui envoie. Ainsi, il ne peut y avoir gêne quant à présent ; toutefois, il faudra de la prudence pour ne pas amener de catastrophe, et nous resserrerons peu à peu ce genre d’opérations. Avez-vous vu M. de Berizy ?

— Oui, sans doute.

— Et quelle est la somme qu’il désire placer chez moi ?

— Deux millions, et je venais vous demander l’emploi que vous voulez faire de cette somme.

— Acheter du trois.

— Il est à 82 francs 25 centimes.

— Eh bien !

— Le moindre événement peut amener une baisse… Nous avons plus de trente millions de fonds de dépôts, engagés sur les fonds… À la moindre panique, le trois peut baisser. Cette expédition d’Alger peut ne pas réussir ; les nouvelles élections peuvent être mauvaises.

— Elles seront bonnes, Séjan.

— Dans quels sens ?

— Dans ce sens que nous forcerons le pouvoir à venir à nous.

— Et s’il n’y vient pas, s’il arrive des collisions qui ébranlent le crédit public ?

— Nous attendrons que les fonds se relèvent.

— Mais si vos commettants alarmés redemandaient alors tous leurs fonds, les uns engagés dans des commandites sans nombre et les autres sur les fonds publics ? Songez seulement qu’avec une baisse de 10 francs, et dans une révolution cela ne serait pas extraordinaire, nous réaliserions près de 4 millions de perte pour le remboursement seulement des capitaux placés sur le trois. »

Le banquier écouta Séjan avec un sourire de haute protection et lui répondit d’un air radieux :

« — Mon pauvre Séjan, vous raisonnez toujours comme si vous étiez encore chez L… ou chez 0… ; tous les malheurs que vous dites peuvent arriver, excepté celui que l’on doute un moment de la solvabilité de la maison Mathieu Durand.

— Personne n’en doutera, Monsieur, et je sais qu’elle est assez riche pour faire face à toutes les catastrophes ; mais votre fortune y peut périr.