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Puis il se remit et reprit :

« — Eh bien ! Monsieur, que puis-je faire à cela ?

— Le voici. Il y a plus de trente ans que j’ai quitté la France. Ce temps, je l’ai occupé, non pas à refaire la fortune que j’ai perdue, mais à regagner assez pour pouvoir payer tous mes créanciers ou leurs héritiers, afin de faire réhabiliter mon nom. J’y suis parvenu à peu près, Monsieur : j’ai donné tout ce que j’ai rapporté des États-Unis, il ne me reste rien, mais il me manque encore une somme de cinquante mille francs.

— Et vous venez me la demander, peut-être ? dit le banquier.

— Je viens vous la demander, Monsieur.

— Pardon, mon cher Monsieur ; mais, en vérité, je ne vous conçois pas. Je veux croire à votre histoire, et je n’ai pas l’intention de vous dire rien de désobligeant. Mais je ne puis me faire le trésorier de tous les faillis de France.

— N’oubliez pas que c’est un vieillard de quatre-vingts ans qui vous demande le moyen de recouvrer son honneur.

— Ce n’est pas moi qui vous l’ai fait perdre.

— Cinquante mille francs sont une somme énorme sans doute ; mais vous les avez mis quelquefois dans l’achat d’un tableau.

— Je crois avoir le droit de faire de ma fortune ce qu’il me plaît, dit brutalement le banquier ; car cette fortune, je l’ai gagnée sou à sou, je n’ai pas été un riche héritier ; mon père…

— Votre père ! dit le vieillard avec une vive émotion.

— Mon père ne m’a pas laissé des millions à dissiper. C’était un ouvrier, Monsieur, honnête ouvrier à la vérité. Je suis né pauvre, j’ai vécu pauvre, et c’est pour cela, Monsieur, que je ne me crois pas obligé de réparer les folies et les imprudences des gens qui ont été riches et qui n’ont pas su le demeurer.

— Si vous saviez quel sentiment m’a poussé à cette fatale détermination, vous auriez pitié de moi.

— Adressez-vous à M. Dumont, Monsieur.

— Pardon, dit le vieillard en se levant et avec un accent presque solennel, je croyais que vous m’auriez mieux compris que lui. »

Il salua le banquier et sortit.

— Eh bien ! fit le Diable en s’interrompant, que dites-vous du bienfaisant millionnaire ?

— Ma foi, dit Luizzi, il avait quelque raison. Jeter cinquante mille francs à la tête du premier venu me paraîtrait un peu maladroit.

— J’en connais de moins riches qui en donnent deux cent cinquante mille à des drôles parce qu’ils y intéressent leur vanité, dit le Diable.

Ceci rappela au baron sa sottise dans l’affaire de Henri Donezau, et il se tut, ne voulant pas donner à Satan l’occasion de lui dire quelques impertinences dont il ne pourrait lui demander raison, le Diable et les prêtres s’étant interdit le duel.

— Décidément, fit le poëte, vous en voulez à la finance bourgeoise,