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« — Qui êtes-vous, et à quoi puis-je vous être bon ?

— Cette lettre vous le dira, Monsieur, repartit M. Félix. »

Et, sans attendre la réponse de Mathieu Durand, il prit un siége et s’assit.

Celui-ci trouva la leçon passablement audacieuse, et lança sur le vieillard un coup d’œil qui l’avertit de son impertinence, mais qui s’arrêta devant le regard calme et serein du vieillard. Durand ouvrit la lettre et la lut, elle ne contenait que ce peu de mots écrits à la hâte :

« Monsieur et ami,

« M. Félix, qui vous remettra cette lettre, est un ancien négociant qui a éprouvé de grands malheurs. Je vous saurai gré de ce que vous pourrez faire pour lui. »

« — Cette lettre est de M. Dumont, de Marseille ? dit Durand.

— Oui, Monsieur.

— Je ne laisserai pas sans secours un homme qui m’a été recommandé par M. Dumont, dit le banquier dédaigneusement. Voilà ce que je puis pour vous, Monsieur, ajouta-t-il en prenant une pile d’argent dans son bureau et en l’offrant au vieillard.

— Ce n’est pas assez, dit M. Félix.

— Que signifie ce ton ? s’écria Durand.

— Veuillez m’écouter, Monsieur.

— Volontiers, mais hâtez-vous ; mes affaires me réclament.

— Je tâcherai d’être bref. Je suis issu d’une bonne famille de commerce. Mon père me fit donner une excellente éducation.

— C’est un bienfait dont je n’ai pas joui, moi, Monsieur.

— Vous ?… dit le vieillard en fronçant le sourcil. »

Puis il reprit :

« — C’est vrai, on me l’a dit. J’ai été plus heureux, moi. J’avais vingt ans lorsque mon père mourut et me laissa une fortune immense. Mais ses spéculations avec l’Inde et la Chine, si heureuses dans ses mains, périclitèrent dans les miennes.

— Vous n’aviez pas été élevé à la rude école de la pauvreté, Monsieur ; c’est qu’on ne connaît le prix de l’argent que lorsqu’il a été amassé par le travail.

— Vous avez raison, sans doute, Monsieur. Toujours est-il qu’à l’époque où la révolution éclata, mes affaires commençaient à chanceler, et que la guerre avec l’Angleterre m’ayant enlevé de riches cargaisons, je fus ruiné et forcé de faire…

— Faillite, dit le banquier en interrompant le vieillard qui semblait hésiter à prononcer ce mot.

— J’ai fait banqueroute, reprit courageusement M. Félix ; je me suis échappé de France avec quelques ressources, et j’ai été condamné…

— Comme banqueroutier ? dit le banquier en tressaillant. »