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un héritage qui a noblement profité entre vos mains.

— Je m’en fais honneur.

— Et vous avez raison. Mais dites-moi ce que je dois attendre de vous. Vous chargerez-vous de mes fonds ?

— Je serai à vos ordres, Monsieur, et ce sera une affaire faite si les conditions accoutumées de ma maison vous conviennent : car la banque n’admet pas les priviléges, et je ne saurais faire pour le marquis de Berizy plus que pour le plus obscur de mes commettants.

— Et je n’en demande pas davantage. Pouvez-vous me dire ces conditions ?

— Pardon, monsieur le marquis, mais je suis forcé de recevoir des clients plus pressés que vous, car ils viennent me demander de l’argent au lieu de m’en apporter. Si vous étiez assez bon pour passer dans le bureau du chef de la comptabilité, M. Séjan, vous vous entendriez avec lui : tout ce qu’il fera sera bien fait. »

Le marquis salua en signe d’assentiment, et Mathieu Durand sonna. Le valet de chambre parut.

« — Qui attend ?

— Ce vieux M. Félix.

— Oui, dit M. de Berizy, un vieillard de près de quatre-vingts ans. Je m’en veux de vous avoir retenu si longtemps.

— Quelque malheureux qui a recours à moi, dit le banquier en s’adressant au marquis pendant qu’il écrivait un mot.

— Je sais que vous les accueillez avec une bonté qui doit vous en amener beaucoup.

— Tout le monde ne réussit pas, monsieur le marquis, et je n’oublie pas d’où je suis parti, » dit sentimentalement Mathieu Durand.

Puis il remit à son valet de chambre le papier sur lequel il avait écrit, et lui dit :

« — Conduisez Monsieur chez M. Séjan. »

Le marquis et le banquier se saluèrent le plus gracieusement du monde, et Mathieu Durand resta encore seul un moment.

« — Ah ! murmura-t-il entre ses dents, ils ont besoin de l’homme de rien, ces grands seigneurs ; ils y viennent, ils y viendront tous. »

— Est-ce là le revers de la médaille que vous nous annonciez ? interrompit le poëte.

— Le voici qui va commencer, dit le Diable. Car, un moment après, on annonça M. Félix.

L’aspect de cet homme avait cette solennité inséparable d’une grande vieillesse rigoureusement portée. Sa mise était plus que simple, sans être abandonnée. Mathieu Durand le mesura d’un regard rapide que le vieillard supporta sans se déconcerter, et il examina à son tour le banquier avec une attention qui ne pouvait guère s’excuser que par l’autorité de son grand âge.

Mathieu Durand en fut d’autant plus blessé, qu’il sentit que cet homme lui imposait, et il lui dit, sans lui offrir de s’asseoir :