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J’ai reçu la nouvelle de ma promotion à la pairie, lorsque je m’étais accoutumé depuis vingt ans à n’être qu’un campagnard utile à mon pays ; car je dois une partie de ma fortune à des entreprises agricoles. On néglige trop la terre en France, monsieur Durand ; on semble oublier que l’agriculture est une industrie… Mais, en vérité, je bavarde comme si j’étais déjà en fonctions. J’étais donc retiré dans mes terres, lorsqu’il a plu au roi de faire de moi un pair de France. Je ferai donc de mon mieux pour être un bon pair de France. Mais, à côté des devoirs politiques que j’aurai à remplir, il en est un que je veux m’imposer, et que vous ne désapprouverez pas, je suppose ; car la magnificence de votre hôtel me prouve que vous n’êtes pas dans le système de ces économistes qui prétendent que toute dépense de luxe est un vol fait à la prospérité publique. Je ne viens pas à Paris pour m’y ruiner ; mais, du moment que le roi m’y a appelé pour une fonction élevée, je veux la soutenir par un train convenable.

— Je conçois parfaitement cela, repartit le banquier, parlant précieusement et comme un homme qui laisse voir qu’il est patient. »

Le marquis s’en aperçut, et reprit :

« — Je vous demande pardon de vous raconter tout cela ; mais ce préambule vous fera tout à fait comprendre pourquoi j’ai un service à vous demander et quel est ce service. D’après ce que je vous ai dit, je me suis décidé à me fixer à Paris. Je me suis donc défait d’une forêt dont je ne puis plus surveiller l’exploitation, et j’ai résolu d’acheter d’abord un hôtel à Paris, et ensuite de placer une partie des capitaux que j’ai réalisés, soit sur les fonds publics, soit dans une maison de banque, pour remplacer par une augmentation d’intérêts de mes capitaux actifs le capital mort que je jetterai dans un hôtel.

— Et vous avez choisi ma maison ? dit Durand d’un ton où perçait une certaine émotion.

— Oui, monsieur Durand, j’ai choisi la vôtre, parce que vous avez une réputation de probité et d’honneur à laquelle toute la France applaudit.

— Il faut bien que nous ayons cela, nous autres gens du peuple, répondit le banquier reprenant son air de modestie.

— Vous y ajoutez, dit-on, une vingtaine de millions, repartit M. de Berizy en riant, et cela n’est pas un accessoire sans importance.

— On exagère beaucoup mon avoir, Monsieur, dit le banquier avec l’une de ces mines qui affirment la chose que nient les paroles. Mais quelle que soit ma fortune, elle a été honorablement acquise : c’est le prix d’un labeur patient, car j’ai commencé avec rien. Je suis l’enfant d’un pauvre homme, d’un ouvrier qui ne m’a laissé qu’un nom honorable, l’amour du travail et d’honnêtes principes.

— Et vous voyez, monsieur Durand, que, quoi qu’on en dise, c’est un assez bel héritage,