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XLV

UN GENTILHOMME ET UN PAUVRE HOMME.

On venait d’y introduire le marquis de Berizy. L’accueil que lui fit Mathieu Durand fut d’une exacte politesse, mais empreint de cette modestie réservée qui marque la différence qu’on sait exister entre soi et l’homme à qui l’on parle. À voir à côté l’un de l’autre le marquis de Berizy, homme de cinquante ans, au teint hâlé, aux mains rudes, à la mise peu recherchée, et le banquier Mathieu Durand, si nettement peigné, rasé, habillé, avec les mains blanches et les ongles roses, assurément on eût pris le marquis pour le bourgeois et le bourgeois pour le marquis. La voix moelleuse et doucement sonore du banquier semblait aussi avoir quelque chose de plus aristocratique que la voix forte et presque rauque du marquis. Mais à les regarder de tout à fait près, on eût pu remarquer dans le banquier un soin de tout ce qu’il disait et de la manière dont il le disait qui prouvait qu’il tenait à donner une excellente opinion de ses bonnes manières ; tandis qu’on sentait dans le laisser-aller du marquis un homme qui est habitué à à être comme il faut et qui l’est sans façons.

« — À quel motif, dit Mathieu, dois-je l’honneur de la visite de monsieur le marquis de Berizy ?

— Le voici, Monsieur ; vous savez que, par ordonnance du roi Charles X, je viens d’être nommé pair de France ?

— Je le sais, comme tout le monde.

— Et comme tout le monde aussi, vous vous demandez peut-être pourquoi je suis arrivé à la pairie ?

— Vous portez un grand nom, monsieur de Berizy.

— Et vous avez le nom d’un honnête homme, monsieur Durand : ce qui, par le temps qui court, vaut tout autant. Mais, s’il faut vous le dire, ce n’est pas tout à fait à cause de ce grand nom dont vous parlez que je suis arrivé à la pairie, c’est parce que je suis un des plus riches propriétaires fonciers de France. Le roi pense que les hommes qui possèdent une grande fortune ont un intérêt plus direct au maintien de l’ordre que ceux qui ne fondent l’espoir de la leur que sur des révolutions. Vous le voyez donc, je suis pair de France par la raison qui fait que vous le seriez demain, si vous le vouliez. »

Le banquier sourit dédaigneusement. Et le marquis reprit :

« — Ce n’est pas là la question. Je reviens à l’affaire qui m’amène.