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semblait plutôt interroger cet homme pour apprendre comment il entendait les affaires que pour connaître ces affaires elles-mêmes.

— Le voici. Après avoir payé comptant tous mes entrepreneurs, grâce aux emprunts que je faisais, j’ai été forcé, à l’entrée de l’hiver, de les régler. Cela a déjà commencé à les rendre moins confiants ; ainsi, quand il s’est agi de terminer les travaux, ils ont demandé moitié comptant, moitié en règlements. C’est aujourd’hui la première quinzaine de la reprise des travaux, et j’ai trente mille francs à payer, dont quinze mille francs à donner en écus pour les ouvriers ; et dans trois jours c’est la fin du mois, il me faut soixante-deux mille francs pour mes échéances. Voilà où j’en suis, Monsieur : si je n’ai pas ce matin ces quinze mille francs, les ouvriers ne seront pas payés ce soir, les travaux ne se continueront pas, mes maisons resteront inachevées, mon crédit est perdu ; et si l’on arrive à une faillite, à des saisies et à une expropriation, des maisons qui, dans trois mois, peuvent valoir trois millions avec cent mille écus de dépense, se vendront peut-être dans un an, et par autorité de justice, pour douze ou quinze cent mille francs, car d’ici là elles se dégraderont, d’autant qu’elles ne seront pas suffisamment closes et fermées. Je serai ruiné par une opération qui devait m’enrichir, et qui m’eût enrichi si je n’avais rencontré une saison détestable. »

Le banquier parut réfléchir longtemps à ce qu’il venait d’entendre, tandis que l’entrepreneur suivait avec anxiété, sur son visage, la moindre trace d’une résolution.

Enfin Mathieu Durand se tourna vivement vers M. Daneau et lui dit :

« — À combien d’entrepreneurs avez-vous affaire ?

— À un grand nombre, Monsieur, car j’ai dû diviser mes travaux pour aller plus rapidement. Ainsi j’ai, pour mes six maisons, autant d’entrepreneurs différents, soit de charpente, soit de serrurerie, soit de menuiserie ; j’ai six fumistes, six peintres, tous d’honnêtes gens, Monsieur, qui doivent ce qu’ils possèdent au travail, car ils ont tous commencé avec rien.

— Très-bien, très-bien ! et cela constitue une trentaine d’entrepreneurs, gens honorables, dites-vous ?

— Oui, Monsieur, ayant tous une excellente réputation.

— Electeurs, sans doute… Et les entrepreneurs de maçonnerie ?

— J’ai fait la maçonnerie moi-même, car je suis maître maçon.

— C’est égal, dit le banquier, cela vous a fait contracter des engagements envers les marchands de moellons, de pierres, de plâtre, de chaux, de sable ; cela vous fait entretenir beaucoup d’ouvriers.

— J’en ai deux cents, et plus de vingt fournisseurs.

— Ah ! c’est bien, c’est bien ! répète le banquier ; et ils ont en vous une grande