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brave militaire ?

— Vous avez pris soin de moi, et c’est à votre générosité que je dois l’éducation que j’ai reçue. C’est un bienfait…

— Oui, Léopold, je crois que c’est un bienfait, dit le banquier, et j’ai peut-être le droit de le dire. C’est que moi, voyez-vous, je suis parti de mon village sachant à peine lire. Le peu que je sais, il m’a fallu l’apprendre en dérobant quelques heures au travail qui me faisait vivre. C’est sans maître que j’ai appris à écrire, sans maître que j’ai peu à peu épuré mon langage de paysan ; puis, lorsque j’ai eu une petite place, je n’ai pas voulu paraître plus ignorant que mes jeunes camarades qui sortaient des lycées, j’ai essayé le latin.

— Tout seul ?

— Tout seul, dans ma mansarde. J’ai voulu savoir un peu d’histoire, un peu de mathématiques. J’aimais la chimie, je m’occupais de physique. Eh ! si je vous disais tout, je jouais du violon, et passablement. À force de travail et d’économie, j’ai pu entreprendre quelques petites affaires, puis de plus grandes, toujours seul, mais toujours persévérant, et enfin je me suis fait ce que je suis.

— Vous vous êtes fait un des hommes les plus considérables de France.

— Un des plus considérés, du moins je l’espère, reprit Mathieu Durand ; mais revenons à ce grand service que j’ai à vous demander. Voici un mémoire, une lettre, un écrit enfin dont il me faut quatre ou cinq copies ; vous l’emporterez chez vous et vous me ferez ces copies dans la soirée. Les heures de votre bureau ne m’appartiennent pas, et M. Séjan me gronderait si je vous détournais de vos devoirs. Je compte donc sur votre obligeance.

— Oh ! Monsieur, dit Léopold confus, ne me parlez pas de mon obligeance, quand chaque heure de ma vie vous appartient.

— Surtout ne montrez cela à personne, pas même à votre mère.

— Je vous le promets, Monsieur.

— Et à propos, comment va-t-elle ?

— Très-bien, et elle sera heureuse d’apprendre…

— Que je me suis informé de sa santé, dit le banquier en souriant, et elle ira sans doute proclamer partout la bonté de M. Mathieu Durand, qui a demandé des nouvelles de madame Baron.

— Ne lui en veuillez pas de sa reconnaissance.

— Je plaisante, mon ami. Votre mère est une digne et honnête femme. Elle s’exagère le peu que j’ai fait pour elle, mais ce sentiment lui vient d’une vertu si rare que je l’en louerais, si sa reconnaissance s’adressait à un autre qu’à moi. Faites-lui toujours mes compliments.

— Je vous remercie pour elle, Monsieur ; mais quand faudra-t-il vous remettre ces copies ?

— Demain au matin.

— Alors je les apporterai de bonne heure, puisque vous ne partez que demain au matin pour l’Étang.

— Vous avez raison, c’est demain dimanche, et je pars ce soir. Ma fille me gronderait si je n’arrivais que demain ; car elle a un bal chez un de nos voisins de campagne, et