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comme l’œuvre d’une mère qui a fini de parer son jeune enfant et qui, après avoir examiné son vêtement pli à pli, épingle à épingle, ses cheveux boucle à boucle, le pose à quelques pas pour bien contempler l’ensemble de sa toilette et s’assurer que rien ne lui manque. Un moment après le valet de chambre parut, et Mathieu Durand lui dit :

« — Envoyez-moi M. Léopold. »

Le valet allait quitter le cabinet pour obéir à son maître, lorsque celui-ci reprit :

« — Passez par le petit escalier qui mène d’ici à l’entresol, où M. Léopold doit se trouver. Qu’il vienne aussi par là ; il est inutile que les personnes qui attendent dans les salons voient que je reçois quelqu’un. »

Le domestique obéit, et le banquier, demeuré seul, ouvrit la correspondance posée près de lui. Il se contenta le plus souvent de jeter un rapide coup d’œil sur les lettres en les classant dans de petits cartons. Il mit quelques annotations à un très-petit nombre, et en garda deux ou trois qu’il renferma dans son bureau et dont la lecture avait paru vivement le contrarier. Enfin le valet de chambre reparut, accompagné d’un jeune homme de vingt ans à peu près, qui s’arrêta devant le banquier comme pénétré d’une respectueuse admiration.

« — Prévenez que je vais recevoir dans l’instant, » dit le banquier au valet de chambre, qui se retira.

Mathieu Durand se tourna alors vers Léopold, et lui dit d’une voix pleine de douceur et de bienveillance :

« — Monsieur Léopold, j’ai un service à vous demander.

— Un service ! à moi ? s’écria le jeune homme avec vivacité. Que dois-je faire, Monsieur ? Vous savez que ma vie vous appartient, et que, s’il faut la sacrifier…

— Non, mon ami, reprit Mathieu Durand en calmant cet enthousiasme par un sourire gracieux ; le service que j’ai à vous demander n’exige pas votre vie, mais il exige de la promptitude et de la discrétion.

— Oh ! si c’est un secret, croyez qu’on m’arracherait plutôt la vie que de m’en faire révéler un mot.

— Vous vous exagérez l’importance de ce que j’attends de vous, Léopold.

— Tant pis ! car je voudrais trouver enfin un moyen de vous prouver ma reconnaissance. Tous vos employés vous regardent comme un père, Monsieur ; mais vous avez été un dieu sauveur pour moi.

— Votre mère était restée sans fortune, et, quoique votre père fût mort en 1815 des suites de ses blessures, on lui avait refusé une pension. C’était une grave injustice.

— Et vous l’avez noblement réparée, Monsieur ; vous êtes venu au secours de ma mère.

— Pouvais-je laisser dans la misère la veuve d’un