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de préjugés, grâce à vous. » Et de pareilles histoires, ajouta Satan, ne sont pas des fables inventées à plaisir ; elles sont vraies, les acteurs existent, vous les connaissez tous et vous les saluez avec considération. Ne vous étonnez donc plus de cette histoire fantastique de l’abbé de Sérac.

— Elle est donc vraie ? dit Luizzi.

— Mais, d’après ce que je viens de vous dire, il me semble qu’elle n’a rien d’invraisemblable. Ce n’est pas le crime qui le serait, vous le voyez, car notre siècle en a de plus effrayants ; ce n’est pas le mystère de la fraternité d’Alix et de Lionel, car cette fraternité était cachée sous un double adultère, et il y en a de légitimes qui s’ignorent elles-mêmes.

— Ceci me paraît assez extraordinaire, fit le poëte. L’état civil a bien nui à la comédie en tuant les reconnaissances inattendues.

— Je pourrais vous prouver à l’instant le contraire, fit le Diable.

— Pardieu ! reprit l’homme de lettres, je le veux bien ; et, puisque j’en trouve l’occasion, je suis bien aise d’apprendre qu’il ne manque rien à notre siècle de ce qui a rendu les autres si féconds en grandes œuvres.

— Je vous atteste qu’il n’y manque rien, repartit Satan, ni vices, ni ridicules, ni passions, ni événements étranges, ni caractères singuliers, excepté…

— Excepté quoi ? dit le poëte.

— Un homme de génie pour les mettre en œuvre, dit Armand.

— Propos de millionnaire et de baron ! fit le poëte avec dédain. Ce qui manque, c’est un public pour les apprécier.

— Propos d’homme de lettres sifflé ! dit Armand.

— Il manque l’un et l’autre, Messieurs, dit le Diable en les saluant tous deux ; et maintenant que nous voilà d’accord, je commence. XLIII

COMÉDIE.

LE BANQUIER.

C’était au commencement du printemps de 1830. Dans un riche cabinet, situé au premier étage d’un vaste hôtel de la rue de Provence, était assis un homme qui lisait attentivement les journaux que son valet de chambre venait de lui remettre. Cet homme était le banquier Mathieu Durand.

— Le banquier Mathieu Durand ! s’écria le poëte, mais je le connais beaucoup ; il a un château à quelques lieues de Bois-Mandé,