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surveillée par le Code civil, les permis de séjour, les gendarmes et les passe-ports…

— Je puis vous attester qu’il y en a qui échappent à toutes ces investigations…

— Pendant quelque temps, et pour finir à l’échafaud…

— Toujours, et pour rester considérés…

— Mais tenez, par exemple, dit le poëte, à part le diabolique de l’histoire du curé, une pareille aventure serait impossible dans notre siècle.

— Et en quoi ? Est-ce l’inceste qui manquerait ? Celui-là est dû au hasard, et vous avez, vous, monsieur de Luizzi, rencontré l’exemple de l’inceste le plus abominable, le plus compliqué, le plus hideux…

— Moi ? fit le baron.

— C’est qu’il y en a plus que vous ne pensez, Monsieur, et vous en avez coudoyé plus d’un dans les salons de Paris. Mais vous particulièrement, vous, baron de Luizzi, vous avez serré la main à un magistrat qui, surpris par le frère d’une jeune fille dans un tête-à-tête familier, fut forcé par ce frère, sous peine de se couper la gorge avec lui, d’épouser la jeune personne ; et savez-vous ce qu’était cette malheureuse ? elle était la fille de ce magistrat, qui avait été l’amant de sa mère ! Et savez-vous pourquoi le frère fut si terrible pour obtenir la réparation d’une injure qui n’existait pas ? c’est que sa sœur était grosse, et qu’il espérait cacher son propre inceste en en faisant commettre deux à sa sœur.

— Ho ! fit le baron avec dégoût, c’est impossible !

— Je ne dis pas que ce soit possible, je dis que c’est vrai. Et si je vous racontais, reprit le Diable, l’histoire de ce père qui élève soigneusement ses filles dans les idées du matérialisme le plus complet, dans des principes de démoralisation profonde, pour ne pas trouver d’obstacles à ses infâmes projets ?

— Et le crime s’accomplit ? reprit Luizzi.

— Ce qu’il y a de drôle, s’il peut y avoir quelque chose de drôle dans tout cela, repartit Satan, c’est que ce furent précisément les leçons du père qui prévinrent le crime.

— Ceci me semble étonnant, fit le poëte.

— Voici comment cela arriva. Le jour où il plut à ce père philosophe de demander à sa fille un amour infâme, elle lui répondit :

« — Non, je ne veux pas.

— Est-ce que tu as des préjugés, ma fille ?

— Assurément non ; mais c’est que vous êtes vieux et laid.

— Eh bien ! si tu ne consens pas de bonne grâce, la force me donnera ce que je te demande. »

Sur quoi, la fille s’arma d’un couteau, en s’écriant :

« — N’approchez pas, ou je vous tue.

— Tuer ton père, misérable !

— Bon ! fit-elle, est-ce qu’un père n’est pas un homme comme un autre, d’après ce que vous m’avez appris ? »

Et, quoi qu’il en eût, le démoralisateur ne put pas tirer sa fille de cette terrible argumentation. « Si c’est un préjugé qui me défend de me donner à vous, ce qui m’empêcherait de vous tuer, si vous vouliez employer la force, ne doit être aussi qu’un préjugé. Or je n’ai pas